Da Vinci Mode
Da Vinci Code – que l’on soit adepte ou pas – est devenu un phénomène. Déjà traduit en 42 langues, ce livre au succès galopant a été imprimé en 18 millions d’exemplaires. Par ailleurs, il est à l’origine d’un déchaînement de critiques et de discussions. Les débordements qui ont entouré la sortie du roman en mars 2003 ont généré d’eux-mêmes un mini-secteur de l’édition qui publie des livres à propos du livre. Ce à quoi il faut ajouter un monceau d’articles, de revues de presse et de commentaires sur le Web.
Pourquoi un roman suscite-t-il des débats si fougueux ? En premier lieu, parce que l’auteur, Dan Brown, affirme que Da Vinci Code est bien plus qu’un simple roman. Sur son site Web, il indique : « le secret qui sous-tend Da Vinci Code a fait l’objet de tant de documents, lourds de sens à mon avis, qu’on ne peut le réfuter ». Au début de l’ouvrage, il énonce donc que certains faits, généraux ou particuliers, viennent étayer son intrigue fictive. De plus, dans un article du New York Daily News de 2003, son éditeur précise que « rien n’est inventé dans les recherches de Dan. Il s’intéresse vraiment à ce domaine ». À la suite de déclarations de ce genre, ce qui normalement ne devait être qu’un roman distrayant s’est transformé tout à la fois en une théorie du complot, une révélation sur la religion judéo-chrétienne (principalement le catholicisme romain), une mise en lumière d’évangiles gnostiques parallèles, une tribune pour une vénération à tendance New Age de « la femme divinisée », et une déification virtuelle de Marie-Madeleine (cause célèbre des féministes).
Des faits réels ?
Avant le prologue de son roman Da Vinci Code, Dan Brown informe les lecteurs que certains détails doivent être considérés comme des faits :
« La société secrète du Prieuré de Sion a été fondée en 1099, après la première croisade. On a découvert en 1975, à la Bibliothèque nationale, des parchemins connus sous le nom de Dossiers Secrets, où figurent les noms de certains membres du Prieuré, parmi lesquels on trouve Sir Isaac Newton, Botticelli, Victor Hugo et Leonardo Da Vinci.
« L’Opus Dei est une œuvre catholique fortement controversée, qui a fait l’objet d’enquêtes judiciaires à la suite de plaintes de certains membres pour endoctrinement, coercition et pratiques de mortification corporelle dangereuses. L’organisation vient d’achever la construction de son siège américain – d’une valeur de 47 millions de dollars – au 243, Lexington Avenue, à New York.
« Toutes les descriptions de monuments, d’œuvres d’art, de documents et de rituels secrets évoqués sont avérées. »
Au fur et à mesure que les ventes grimpaient, s’est accru l’intérêt pour certaines interrogations soulevées par la soi-disant exactitude des documents sur lesquels D. Brown a basé son histoire romanesque. Examiner la façon dont plusieurs auteurs – d’expériences et d’opinions différentes – ont choisi d’éclairer ou de dénoncer ces allégations est particulièrement formateur. Cet article se penche sur cinq ouvrages qui traitent du livre.
DÉCRYPTER LE CODE
Le plus superficiel et le moins utile est celui de Simon Cox, Le Code da Vinci décrypté. L’auteur est présenté comme « le rédacteur en chef de Phenomena, revue américaine consacrée à la critique des dogmes, orthodoxies et demi-vérités ». Cependant, bizarrement, S. Cox ne réussit pas à identifier les multiples demi-vérités et non-vérités maquillées en faits historiques dans le roman. Cet ouvrage inconsistant n’est surtout qu’un précis d’information, presque un guide. Il s’attache aux descriptions des lieux, symboles et personnages centraux, sans traiter le caractère véridique ou erroné des affirmations de D. Brown. Même s’il se veut « le premier livre à éclaircir la confusion », il n’en fait rien.
CODE OU CANULAR ?
The Da Vinci Hoax (Le Canular Da Vinci), écrit par Carl E. Olson et Sandra Miesel, offre des perspectives révélatrices quant aux raisons pour lesquels tant de gens ont adhéré aux thèses du roman sans aucune réserve. L’attrait – donc le danger – du roman se dissimule dans ses différentes strates : « Ce mythe fonctionne sur plusieurs niveaux, étant à la fois une énigme, une histoire d’amour, un thriller, une théorie du complot et un manifeste spirituel », remarquent les auteurs. « Jouant sur les prédispositions et les lacunes des lecteurs, D. Brown souligne qu’on ne peut pas tout connaître de l’histoire, alors qu’il propose lui-même une histoire fondée sur "des faits" et "des recherches". Selon lui, la religion est une béquille ; il a pourtant écrit un livre empreint d’une religiosité ésotérique et syncrétique. Tandis qu’il suggère qu’il n’existe aucune vérité, il présente une gnose (connaissance) secrète de la réalité. »
C. Olson et S. Miesel s’attaquent également à ce qui constitue souvent une association mal avisée entre christianisme et paganisme : « Malheureusement, les textes tels que le Da Vinci Code optent pour une démarche faite d’un mélange commode de religions (adoration païenne du soleil, mithraïsme, culte d’Isis, Osiris, Adonis et de Dionysos, et vénération hindouiste de Krishna) qui présentent des parallèles ou des similitudes ; puis ces écrits concluent : "Voyez les ressemblances ! Le christianisme dérive manifestement directement du paganisme" ».
Les deux auteurs appuient leur rejet du Da Vinci Code sur cinq défauts essentiels :
- Il revendique une exactitude historique et des bases factuelles alors que, dans plusieurs cas, il n’en est rien. D’après eux, « sans la réécriture complète de la réalité historique que fait D. Brown, le roman ne peut exister sous aucune forme ».
- À plusieurs reprises, il donne une représentation ou interprétation erronée de personnages, de lieux et d’événements. Par exemple, le roman montre Constantin en train d’instaurer « le pouvoir de la nouvelle Église » – du Vatican dans la version originale de l’auteur. Or, au quatrième siècle, le Vatican n’était qu’un espace marécageux. D. Brown se trompe également en présentant l’Opus Dei comme une secte et une Église.
- Il met en avant des intentions féministes radicales néo-gnostiques, associant néo-paganisme, néo-gnosticisme, religion Wicca, occultisme et extrémisme féministe.
- Il déforme le christianisme et les convictions chrétiennes traditionnelles concernant Dieu, Jésus et la Bible. « Dans le roman, la dénaturation des croyances chrétiennes est si offensive et systématique que la seule conclusion logique est qu’elle tient à une méconnaissance volontaire ou à une malveillance délibérée », expliquent C. Olson et S. Miesel.
- Il propage une attitude relativiste indifférente à l’égard de la vérité et de la religion. Les auteurs se réfèrent à un article de James Hitchcock sur le retour du gnosticisme paru dans le magazine chrétien américain Touchstone (Fantasy Faith, décembre 2003) : « Des millions de gens ont lu le Da Vinci Code, non pas parce qu’ils croient forcément à son intrigue absurde, mais parce que le livre crée un mythe qui sert certains besoins émotionnels et qui leur permet d’être « religieux » sans avoir à se soumettre aux exigences de la foi ». C. Olson et S. Miesel poursuivent : « Malheureusement, de nombreux chrétiens, grands admirateurs du roman, n’ont pas conscience que celui-ci constitue une attaque contre les convictions fondamentales de la foi chrétienne ».
L’un des paradoxes du Da Vinci Code tient à sa façon de dépeindre les premiers chefs de l’Église comme des mâles phallocrates, l’un des principaux personnages, Sir Leigh Teabing, déclarant même au sujet de Pierre : « C’était probablement un sexiste forcené ! ». Cependant, de nombreux textes gnostiques – auxquels le roman semble accorder davantage de crédibilité qu’à la Bible – parlent des femmes avec condescendance, voire avec mépris. Comme illustration, C. Olson et S. Miesel citent le dernier verset de l’évangile de Thomas, le plus connu des textes gnostiques : « Simon Pierre leur dit : "Que Marie sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie !". Jésus dit : "Voici ; moi, je l'attirerai pour que je la rende mâle afin qu'elle aussi devienne un esprit vivant pareil à vous, les mâles ! Car toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des cieux ».
« Jouant sur les prédispositions et les lacunes des lecteurs, D. Brown souligne qu’on ne peut pas tout connaître de l’histoire, alors qu’il propose lui-même une histoire fondée sur “des faits” et “des recherches”. »
The Da Vinci Hoax effectue un travail louable et méthodique d’examen de plusieurs concepts clés du roman de D. Brown. Ceux qui souhaiteraient des informations plus poussées y verront abordés d’autres grands thèmes comme le gnosticisme, Marie-Madeleine, la divinité de Christ, Constantin et le paganisme, les Templiers, le Prieuré de Sion, ainsi que l’art de Leonardo da Vinci. Cet ouvrage étant rédigé par des catholiques romains convaincus, il ressort parfois de leur argumentation une tendance compréhensible face à l’antipathie systématique de D. Brown à l’égard de leur confession.
DERRIÈRE LE CODE
Richard Abanes, l’auteur de The Truth Behind the Da Vinci Code (La Vérité derrière le Da Vinci Code) est un expert en cultes et religions. Dans son livre, concis et accessible, il sanctionne D. Brown clairement et simplement pour négligence vis-à-vis de ce que le romancier présente comme des faits historiques par le truchement de ses deux personnages « érudits », Robert Langford et Leigh Teabing.
De courtes citations tirées du Da Vinci Code sont suivies de démentis précis. Le traitement exhaustif de la supercherie du Prieuré de Sion est particulièrement bien documenté.
Dans l’intrigue du roman, l’un des autres points cruciaux concerne le mariage hypothétique de Christ et de Marie-Madeleine, à l’origine d’une lignée royale. L’un des intellectuels inventés par D. Brown définit ce point comme thème récurrent des évangiles gnostiques rejetés par le courant chrétien dominant.
R. Abanes réplique à cela qu’« aucun des évangiles gnostiques […] ne fait mention d’une union entre Marie-Madeleine et Jésus ». Il poursuit en signalant que la thèse présentée par le personnage de Brown est de l’ordre de l’oxymoron : « Paradoxalement, si ce texte [l’évangile gnostique de Philippe] apporte quoi que ce soit, c’est un démenti complet quant à l’allégation d’un mariage de Jésus avec Marie. En effet, il se conforme à l’un des principes fondamentaux des premières formes de gnosticisme, lequel énonce que tout aspect physique est forcément maléfique. En conséquence, des relations sexuelles seraient avilissantes par nature ! ».
Si un livre se distingue parmi les tentatives de démystification du Da Vinci Code, c’est bien cet opuscule, au propos concis et convaincant.
LES SECRETS DU CODE
Ouvrage publié par Dan Burstein (qui le qualifie d’abrégé), Les secrets du Code da Vinci se définit par son sous-titre comme « Le Guide non officiel des mystères du Code da Vinci ». Son rédacteur a fait appel à une petite équipe de recherche secondée par des spécialistes, afin de réunir une sélection tout à fait complète de documents. Le plus volumineux des livres présentés ici comprend une série d’essais, des extraits de chapitres tirés d’autres ouvrages, des entretiens, ainsi que des traductions des évangiles gnostiques les plus connus (attribués à Thomas, Philippe et Marie-Madeleine). Deux parties sont consacrées à « la femme sacrée » et composées d’essais ou de textes sur le sujet écrits par des auteurs féministes, telles Margaret Starbird, Karen L. King, Elaine Pagels et Lynne Picknett.
Les secrets du Code da Vinci n’est pas un texte à lire d’un bout à l’autre. Il se divise en deux tomes, eux-mêmes subdivisés en parties, puis chapitres. Ces derniers comptent de nombreux essais, extraits et entretiens regroupés par catégorie.
L’ouvrage n’est pas destiné à ceux qui ne s’intéressent qu’à l’authenticité des revendications de D. Brown. En revanche, il constitue un outil de référence très utile. Par exemple, certains des travaux des auteurs précités abordant religion et féminisme sont au cœur des hypothèses présentées comme avérées par le Da Vinci Code. En conséquence, il sera sans doute fructueux de lire quelques-uns des chapitres essentiels de leurs ouvrages pour prendre conscience de la portée des spéculations et de la faible quantité de faits tangibles qui viennent étayer l’étrange idée d’une union entre Christ et Marie-Madeleine dont serait né un enfant.
FORCER LE CODE
Breaking the Da Vinci Code (Forcer le Code da Vinci), de Darrell L. Bock, tente d’aider les gens à « percer les intentions qui se cachent derrière les codes ». D. Bock est professeur et chercheur, spécialiste du Nouveau Testament au Séminaire théologique de Dallas, éminent établissement universitaire protestant.
Il montre que l’affirmation de Brown concernant l’exactitude des « descriptions de monuments, d’œuvres d’art, de documents et de rituels secrets » crée une sorte de réalité virtuelle qui dépasse la sphère imaginaire d’un bon roman. Où la réalité s’arrête-t-elle pour laisser place à la fiction ? « Da Vinci Code n’est plus une simple histoire inventée. C’est un roman revêtu de prétentions de vérité historique, critiquant les institutions et les convictions respectées par des millions de personnes à travers le monde », écrit D. Bock. Il ajoute : « Les questions relatives à la foi et à la relation avec Dieu sont trop importantes pour qu’on les abandonne à une obscure catégorie de fiction « historique » qui prétend, bien qu’il s’agisse d’un roman, que l’histoire est véridique ».
D. Bock entreprend de forcer plusieurs de ce qu’il appelle des « codes » figurant dans le roman : qui était Marie-Madeleine, si Jésus était marié, le célibat de Jésus, les évangiles gnostiques, la manière dont les Évangiles du Nouveau Testament ont été regroupés, l’allégation que Marie serait un apôtre, ainsi que les principales affirmations du Da Vinci Code.
De façon évidente, ses préoccupations premières tiennent à la crédibilité de la Bible, ainsi qu’à la conviction fondamentale que Jésus-Christ est mort puis a été ressuscité, et qu’il a été considéré comme un être divin dès l’époque des apôtres. Son ouvrage est clair, logique et accessible. À travers l’un de ses aspects les plus révélateurs, il souligne qu’il n’existe réellement aucune base commune entre les Évangiles canoniques appartenant aux Écritures et les évangiles gnostiques : « Il se dégage deux perspectives distinctes de la spiritualité, l’une émane de Jésus (celle de l’Évangile de Jean) et l’autre trouve son origine dans le potentiel divin de chacun d’entre nous (l’Évangile de Thomas). Ainsi, il existe deux théologies distinctes, deux fois différentes ».
UN CODE POUR NOTRE ÉPOQUE ?
Finalement, les millions de lecteurs du Da Vinci Code vont devoir se faire leur propre opinion quant au sérieux à accorder à certaines des affirmations de D. Brown – en supposant qu’ils y prêtent intérêt.
La vérité brouillée
L’un des traits caractéristiques de notre époque est l’absence curieuse de critères de référence admis permettant d’apprécier ce que les gens choisissent de croire. C’est notamment le cas en matière de foi religieuse ou spirituelle. Après nous être dégagés de la conviction que la Bible constituait la source autorisée de vérité et de spiritualité, nous sommes apparemment prêts à flirter avec presque n’importe quelle hypothèse émoustillante tirée d’un assortiment d’opinions préconditionnées, et à l’accepter telle une vérité. Alors, je m’interroge : Avons-nous écarté ou perdu les facultés critiques qui permettent de discerner correctement entre authentique et erroné, entre faits et fiction ?
L’apôtre Paul avait prédit, semble-t-il, notre époque New Age empreinte de désinvolture, d’absence d’engagement et d’inconsistance à l’égard de la religion – ce dont les postulats opiniâtres défendus par les personnages du Da Vinci Code sont une parfaite illustration. En effet, Paul avertissait déjà l’évangéliste Timothée : « Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine ; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l’oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables. » (2 Timothée 4 : 3‑4).
Ne serait-ce pas le bon moment pour inverser ce trait caractéristique de notre ère postmoderniste selon lequel la vérité, relative et individualisée, peut être tout ce que nous avons envie qu’elle soit ? Cependant, ce à quoi nous aimerions croire n’est pas forcément la vérité authentique. D’après la Bible, c’est elle-même qui établit la vérité (Jean 17 : 17). Ne devrions-nous pas nous intéresser à la découverte de son message extraordinaire et aux enseignements qu’il contient, au lieu de le réfuter pour n’être que l’œuvre de simples humains ?
Dan Brown croit passionnément à la thèse centrale de son roman. Pourtant, sa théorie même semble être une confusion malheureuse entre réalité et fiction. Il paraîtra plus sûr de conclure que même ses déclarations sur la part d’éléments factuels ne font que participer à la fiction.
Les affirmations de D. Brown invitent à un examen précis. Or, certains des ouvrages présentés ici ont le mérite d’aider les lecteurs du Da Vinci Code à dissocier la vérité des affabulations. Dans une mesure plus large, c’est aussi le but de Vision.