Devoir de mémoire
Pendant toute l’année 2005, les medias du monde entier ont largement diffusé les commémorations du 60ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, les forces alliées, menées par les États-Unis, l’Angleterre et la Russie, renversèrent en Europe la machine de guerre nazie et finirent par libérer le continent de l’emprise fasciste.
La fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe a été synonyme de liberté pour certains et de davantage d’oppression pour d’autres. La « libération » n’a pas eu la même signification pour tout le monde. Venues de l’ouest, les forces américaines et anglaises ont rapidement avancé à travers l’Allemagne jusqu’à l’Elbe, et les gens qui ont été libérés profitent jusqu’à aujourd’hui de systèmes démocratiques. Du côté est, les forces soviétiques ont avancé par la Pologne en direction de Berlin, prenant possession de tout ce qui était sur leur passage. Les Russes ont ensuite incorporé différents peuples qui allaient former le bloc communiste, privé de liberté par l’oppression soviétique pendant pratiquement 45 ans jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989.
En dépit des objectifs politiques différents des trois grandes puissances alliées, elles ont toutes ressenti la même répugnance face à l’horreur incompréhensible des camps de concentration nazis, qui furent découverts en prenant les territoires que les Allemands contrôlaient. Auschwitz-Birkenau en Pologne est devenu le symbole écœurant de l’Holocauste, ou la Shoah, et l’humanité a commencé à faire le bilan de cette inhumanité sans précédent. Le monde découvrit avec dégoût et incrédulité l’étendue de la terreur fasciste dont les Juifs et autres personnes avaient souffert, alors que les nations dévastées se mettaient à reconstruire les vies brisées et les communautés ravagées.
Par la suite, de nombreuses questions ont été soulevées. Par exemple, comment le régime nazi aberrant a-t-il pu recevoir autant de soutien populaire pour devenir aussi puissant ? Comment la nature humaine peut-elle permettre les horreurs d’un génocide ? Comment pouvons-nous nous assurer qu’une telle monstruosité n’aura plus jamais lieu ?
Soixante ans plus tard, après d’innombrables livres écrits sur le sujet, sans mentionner tous les documentaires télévisés, les articles et les sites Internet qui explorent les évènements de l’époque, le monde a eu une nouvelle chance de réécouter les leçons qui auraient dû être apprises. La génération qui a connu la guerre meurt rapidement. Très bientôt, seuls les historiens, les mémoriaux publics et les musées nous rappelleront les faits de l’une des périodes les plus sombre de l’histoire de l’homme.
Alors que le monde entier commémorait la fin du conflit, Vision a examiné la montée au pouvoir d’Adolf Hitler, la cruauté sans précédent qu’il a déployé, et les leçons dont il faut se souvenir.
Préparation de la Seconde Guerre mondiale
Rappeler certains éléments de la situation qui a conduit à la Première Guerre mondiale nous aide à comprendre non seulement cette guerre mais également la suivante qui a été encore plus catastrophique. Certains affirment que les deux guerres étaient en fait une seule guerre avec une interruption. Si c’est le cas, il est encore plus important de remonter aux origines de la première guerre pour comprendre la seconde. Même si certains historiens tiennent pour responsable du militarisme allemand des deux guerres Otto von Bismarck, le « chancelier de fer » prussien, des analyses récentes adoptent une vue différente. Bismarck, qui surveilla l’unification de l’Allemagne en 1870, a réussi à raviver l’orgueil allemand au niveau économique et militaire, et a également œuvré à la stabilisation paisible de l’Europe centrale grâce à une diplomatie pleine de sagesse. Dans le processus, il a acquis le respect et l’admiration des autres leaders du monde entier.
Au niveau de la responsabilité de la guerre en Allemagne, il y a un autre homme qui nous fournit des causes plus vraisemblables. Lors des dernières années de Bismarck, un nouvel empereur s’empara du trône. Guillaume II, petit-fils de la reine Victoria d’Angleterre, était jeune, impulsif et inexpérimenté, et se considérait comme moderne. Il avait également pour ambition de faire de l’Allemagne un pays puissant. En l’espace de dix-huit mois, il profita d’une opportunité politique pour forcer le vieux chancelier à quitter son poste. Dans une lettre qui s’est avérée être d’une grande lucidité sur l’avenir, Bismarck avertit l’empereur que ses politiques mèneraient la nation à la guerre.
Mais le kaiser, désormais libre de poursuivre son idéalisme, devint encore plus agressif et lança son hostilité irrationnelle envers l’Angleterre, alors que l’Allemagne et l’équilibre du pouvoir européen dépendaient de la confiance et la neutralité britannique.
Pendant cette même période, à la fin du 19ème siècle, la société allemande était sous l’influence de différents courants. La politique changeait sans arrêt, notamment à cause de l’arrivée de nouveaux partis. Le parti social-démocrate marxiste devint le parti politique le plus important après 1890, remportant un tiers des votes en 1912. Le rôle et l’influence de la religion diminuaient sous le poids du rationalisme allemand et de la sécularisation de la société. De nouvelles philosophies et façons de voir le monde étaient en vogue, de Nietzsche et Freud à Einstein, Wagner et Weber. L’historien Stephen Ozment décrit cette effervescence sociale en ces termes : « Les jeunes Allemands allaient d’une tribune improvisée à l’autre, où montaient de plus en plus souvent des démagogues, militaristes, nihilistes et racistes influents. »
La stabilité de l’Europe était d’autre part menacée par la passion que Guillaume II vouait au renforcement militaire et à la colonisation. En Afrique et au Moyen-Orient, l’empereur défia les Anglais et les Français, et les Russes en Extrême-Orient. En Europe, l’armée allemande devint très vite la plus grande armée. La planification de 38 nouveaux cuirassés allemands jusqu’au début du 20ème siècle ne pouvait être que perçue par l’Angleterre comme un défi à sa supériorité navale. L’Angleterre, la France et la Russie décidèrent alors de s’allier contre l’Allemagne.
Mais ce n’est pas seulement l’empereur qui fournit les motifs de la guerre. Dans la région mouvementée des Balkans, les Autrichiens, les Serbes et les Turques étaient en désaccord. La Russie était alliée à la Serbie alors que l’Autriche était alliée à l’Allemagne. L’assassinat de l’archiduc autrichien Francis-Ferdinand et de sa femme, perpétré par des terroristes bosniaques à Sarajevo, mis l’Allemagne en conflit avec la Serbie au nom de l’Autriche. Cet évènement précipita la guerre qui allait bientôt s’élargir à toute l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Au début des hostilités, aucune puissance, y compris l’Allemagne, n’aspirait à dominer l’Europe, mais en 1917 de nombreuses ambitions contradictoires avaient été formulées.
Une fois la guerre terminée, les Alliés étaient déterminés à punir sévèrement l’Allemagne. Le traité de Versailles infligea de lourds dommages financiers au vaincu – tout d’abord 480 milliards de marks qui furent ensuite réduits à 132 milliards, payables sur trente ans. De précieux biens furent confisqués, comme certaines régions de la Prusse de l’ouest qui servirent à créer le couloir polonais menant à la mer Baltique. La Sarre, très riche en charbon, et la Rhénanie furent placées sous autorité (et non juridiction) française. Les colonies allemandes furent prises, les forces armées limitées à 100 000 soldats et 15 000 marins. Les armes lourdes furent interdites. Ces conditions punitives, alliées à la perte de la fierté nationale, le chômage, l’hyperinflation galopante, firent que l’Allemagne se retrouva à genoux en 1923. L’amertume qui s’est ensuivie et répandue dans le pays, attisa la rancune envers les vainqueurs de la guerre et prépara le terrain pour l’émergence de Adolf Hitler, un inadapté social jusque-là passé inaperçu.
Hitler durcit
Soldat autrichien sur le front occidental pendant la Première Guerre mondiale, Hitler remplit la mission d’estafette. Il reçoit deux décorations pour son courage, à chaque fois la Croix de fer. Mais dans les dernières années de la guerre, et juste après, son développement marquant est sa capacité à argumenter contre les marxistes, les libéraux et les Juifs, et à consolider son amertume concernant l’incapacité de l’Allemagne impériale à remporter la guerre.
Le 9 novembre 1918, marquant la fin de la Première Guerre mondiale, l’empereur et le prince héritier abdiquent. Le pouvoir passe désormais dans les mains du Parti social-démocrate, dont le chef devient le premier président de la toute nouvelle république de Weimar. Le gouvernement de transition signe l’armistice et admet la défaite inconditionnelle. En apprenant la nouvelle, Hitler, hospitalisé après avoir été blessé aux yeux par une attaque au gaz moutarde, sombre dans un désespoir qui va vite tourner à la haine. Revenu à Munich le 21 novembre, Hitler, ne pouvant pas trouver de travail, décide de rester dans l’armée. L’année 1919, qu’il passe donc dans l’armée, va être un point tournant dans le durcissement des idéologies de Hitler.
Alors qu’il porte encore l’uniforme, Hitler commence à s’impliquer dans la politique, ce qui marque le début de sa montée au pouvoir. Employé en tant que propagandiste et conférencier par l’armée, il découvre qu’il peut fasciner une audience par son discours. Et il parle souvent contre les Juifs.
L’historien Ian Kershaw note que la vision du monde de Hitler fut exprimée pour la première fois pendant cette période. C’était de « l’antisémitisme reposant sur de la théorie raciale ; et la création d’un nationalisme unificateur fondé sur le besoin de combattre la force interne et externe des Juifs. » En septembre, il rejoint le petit Parti ouvrier allemand. En 1920, avec l’un de ses collègues, Ernst Roehm, il change le nom du parti en Parti national socialiste des travailleurs allemands et dessine personnellement son symbole du svastika. Hitler monte dans les rangs du parti et devient, en quatre ans, très aimé des nationalistes dans tout le pays.
En novembre 1923, il est à la tête d’un coup d’état contre le gouvernement de Weimar, connu sous le nom de putsch de Munich. Malgré l’échec, son nom se fait connaître au niveau national. Emprisonné de 1924 à 1925, il écrit la première partie de son manifeste autobiographique et antisémite Mein Kampf. À sa sortie de prison, il est interdit de parole en public pendant trois ans mais participe à de nombreuses discussions privées sur ses idées. Pendant cette époque, la situation en Allemagne s’améliore, grâce notamment aux talents diplomatiques du chancelier Gustav Stresemann et du second président de la république de Weimar, Paul von Hindenburg.
Puis c’est la Grande dépression de 1929. L’Allemagne est frappée presque aussi durement que les États-Unis, ce qui crée une situation parfaite pour un changement politique qui aborderait les problèmes économiques chroniques. Le nombre d’adhérents au parti nazi ne cesse d’augmenter. Hitler fait à présent appel aux industriels, aux propriétaires terriens, aux fermiers, aux anciens combattants, et à la classe moyenne, touchés par l’inflation des années 20 et le taux de chômage élevé qu’avait causé la Dépression. Dans ce climat, il exprime ouvertement son propre antisémitisme exacerbé, profitant des sentiments déjà répandus dans toute l’Allemagne. Il finit par mettre en marche une machine à propagande très efficace avec laquelle il arrive à convaincre la majorité de la nation qu’il peut la sauver, non seulement de la Grande dépression mais aussi du traité de Versailles, des communistes et des Juifs.
Pourquoi les Allemands ont-ils voté pour le parti hitlérien ? Pas parce qu’ils soutenaient l’avenir que les Nazis ont mis en place, mais comme le dit Ozment, « pour ce qu’il promit de faire pour stopper la crise économique et politique du moment. » Hitler entraîna la majorité des gens à croire qu’il était « davantage indigné par leur situation qu’ils ne l’étaient eux-mêmes, et qu’il avait la volonté et l’intelligence d’y mettre un terme. »
Hitler devient chancelier en janvier 1933 et le parlement met en place la Loi des pleins pouvoirs qui lui confère une autorité dictatoriale. La loi spécifiait que le cabinet pouvait seulement accepter des mesures soumises par le chancelier. Le taux de popularité de Hitler augmentait alors que le taux de chômage baissait fortement et que l’Allemagne connaissait une forte expansion dans le secteur civil et la production industrielle.
En 1935, Hitler rejeta le traité de Versailles et instaura la conscription militaire, lançant ainsi la production d’une énorme machine militaire. Pendant ce temps, la campagne contre les Juifs s’intensifia. Avec l’adoption des lois de Nuremberg, les Juifs perdirent leur nationalité allemande et ne furent plus autorisés à travailler pour le gouvernement, dans les professions libérales, ou dans la plupart des métiers du secteur économique.
L’Allemagne réoccupa la Rhénanie démilitarisée en 1936. Alors que l’Angleterre et la France restaient quasiment sans rien faire, faisant quelques efforts pour apaiser la situation, et que les avertissements de Winston Churchill n’étaient pas entendus, Hitler prit de l’assurance et envoya des troupes pour aider la rébellion de Franco en Espagne. Les puissances de l’Axe furent bientôt créées, avec à sa tête l’Allemagne, l’Italie et le Japon. En novembre 1937, Hitler tint un meeting secret pour planifier son coup suivant : se procurer du Lebensraum (l’espace vital) pour le peuple allemand en envahissant d’autres pays.
La persécution des Juifs se faisait de plus en plus forte, et entre novembre 1938 et septembre 1939, plus de 180 000 décidèrent de fuir le pays, les Nazis confisquant tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux.
La solution finale
Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne et la guerre éclata en Europe. Alors que le conflit s’étendait, Hitler classa les Juifs comme ennemis de l’État.
Croyant sa propagande, le leadership nazi partageait son antisémitisme féroce basé sur l’idée farfelue que les Juifs étaient un genre d’infection diabolique – les « champignons vénéneux » - qui voulaient dominer le monde. Les Juifs étaient considérés comme un obstacle aux aspirations nazies de domination aryenne. Croyant qu’il formait une race supérieure, le haut commandement nazi considérait comme son devoir de se débarrasser de la soi-disant menace juive. Est-ce que le soldat moyen allemand ou autrichien s’est battu, motivé par l’antisémitisme ? Ozment affirme : « Les motivations de base de la guerre étaient totalement égocentriques, et non dirigées vers les Juifs ou antisémites. Les Allemands voulaient récupérer, par une victoire totale, les réparations draconiennes qu’ils avaient été forcés de payer et se venger des terribles souffrances subies depuis la Première Guerre mondiale. »
Après que les Allemands aient envahi la Russie pendant l’été 1941, Hermann Göring, théoriquement responsable de la politique anti juive depuis 1939, ordonna à Reinhard Heydrich, chef de l’Office central de la sécurité du Reich, de préparer la mise en œuvre de la « solution finale de la question juive ». En janvier 1942, à la conférence de Wannsee, à Berlin, tous les principaux hauts responsables SS se réunirent pour coordonner la destruction du peuple juif. Les rapports de cette conférence, qui survécurent à la guerre, fournissent la preuve évidente de la planification centrale de l’Holocauste. Le nombre de Juifs envoyés dans les camps d’extermination à l’est augmenta alors de manière significative.
Au total, il y avait 1 634 camps de concentration et leurs annexes, et plus de 900 camps de travaux forcés. Le nombre de camps d’extermination, ou camps de la mort, s’élevait à six. Ils furent construits à Chelmno et Auschwitz-Birkenau dans les territoires polonais annexés par le Troisième Reich, et à Belzec, Majdanek, Sobibor et Treblinka dans le centre de la Pologne, connu sous le nom de Gouvernement général. Mais faire la différence entre les camps de concentration et les camps de la mort, en termes de ce qui est arrivé aux personnes qui y sont entrées, n’a aucune valeur : dans les deux types de camp, la mort de ses occupants a eu lieu à grande échelle. La question n’est pas de savoir s’ils sont morts au travail, de faim, par balle ou en se faisant gazer. La machine nazie avait pour but d’exterminer les Juifs – ou toute personne désignée comme étant un ennemi de l’État – de manière atroce.
Même si différents groupes avaient été désignés comme ennemis, comme les Slaves, les gitans et les homosexuels, seuls les Juifs furent isolés pour être exterminés de manière systématique. Entre 1942 et 1945, les Nazis commencèrent à mettre en œuvre le plan de manière appliquée. Chaque Juif habitant dans l’Europe contrôlée par les Nazis devait mourir.
« En un laps de temps de six semaines seulement, 222 269 costumes et dessous d’hommes, 192 652 habits de femmes et 99 922 habits d’enfants, ont été récupérés des personnes gazées à Auschwitz et distribués au front intérieur allemand. »
Auschwitz-Birkenau est le camp d’extermination le plus connu. L’une des raisons est peut-être due au fait qu’il était plus international que les autres : des gens de toute l’Europe y furent envoyés – de la Norvège jusqu’à l’île grecque de Rhodes. Une autre raison éventuelle est que c’était aussi un camp de concentration ; les survivants slaves purent, à la fin de la guerre, raconter ce qui s’y était déroulé.
Le camp devint le site du plus grand massacre de masse connu de l’histoire. La plupart des autorités estiment qu’entre un million et un million et demi d’hommes, femmes et enfants y moururent – plus que le nombre total de victimes anglaises et américaines pendant toute la guerre. Entre 1940 à 1945, les Nazis envoyèrent plus d’un million de Juifs, environ 150 000 Polonais, 23 000 gitans, 15 000 prisonniers de guerre soviétiques, et plus de 10 000 prisonniers d’autres nationalités à Auschwitz-Birkenau. La plus grande majorité d’entre eux moururent là-bas.
C’est pourquoi le nom d’Auschwitz est devenu le symbole tristement célèbre de l’extrême brutalité et du génocide de plus de onze millions de victimes de la pensée nazie. Cela comprend la mort d’environ six millions de Juifs, qui furent exterminés dans différents camps de concentration et ghettos, et par des exécutions en série.
Explorer les causes du génocide
De nos jours, la plupart des gens seraient sans doute d’accord pour dire que la plus grande expression du mal au 20ème siècle a été incarnée par un homme : Hitler.
« Le nom de Hitler est, à juste titre et pour toujours, celui de l’instigateur en chef de l’effondrement le plus dramatique de la civilisation des temps modernes. »
Mais tout le mal commis par Hitler n’est qu’une partie de l’histoire. Il n’y aurait sans doute pas eu d’Holocauste sans la vision maléfique et le leadership obsessionnel de Hitler. Mais il n’y aurait également pas eu d’Holocauste sans un cadre de chefs et de partisans qui partageaient la vision de Hitler et qui étaient prêts à exécuter ses directives meurtrières. Hitler n’était pas, sur le plan technique, un tueur de masse, mais plutôt le grand concepteur d’atrocités que d’autres personnes exécutaient.
L’analyse des causes de l’Holocauste est controversée. Dans son livre intitulé Des hommes ordinaires, paru en 1992, Christopher R. Browning a tenté d’expliquer que les Allemands qui ont perpétré les horreurs de l’Holocauste ne manifestaient pas un trait allemand unique, mais que c’étaient des personnes moyennes qui, entraînées dans l’histoire, ont fait preuve d’une inhumanité sans pitié. Le livre de Browning The Origins of the Final Solution (les origines de la solution finale) de 1994 soutient que le génocide nazi ne fut pas tant l’accomplissement d’un complot prémédité qu’une occasion qui s’est présentée et développée au fil de la guerre.
D’un autre côté, l’œuvre de Daniel Goldhagen, parue en 1996, Les bourreaux volontaires de Hitler, tout en rejetant les notions d’un « caractère national » allemand défectueux, a essayé de prouver que l’Holocauste était néanmoins unique et qu’il était le résultat de trois facteurs communs. Le premier fut l’arrivée au pouvoir de violents antisémites qui firent de l’extermination des Juifs une politique d’état ; le deuxième fut la bonne volonté des Allemands moyens à soutenir la politique d’état officielle ; et le troisième, le fait que l’Allemagne, à elle seule, a réalisé la prouesse de conquérir l’Europe. Par conséquent, seul un gouvernement allemand pouvait commencer à exterminer impunément les Juifs à une échelle industrielle, sans craindre la réaction des autres pays.
Les arguments des deux auteurs méritent d’être pris en considération. Il est difficile de s’imaginer la mort de tant de personnes innocentes dans tout autre contexte. L’appel du « plus jamais » a été écouté. La culture politique de l’Allemagne est de nos jours complètement différente : la démocratie et ses sauvegardes règnent dans le pays. Les quelques vagues d’antisémitisme sont l’œuvre d’un groupe extrémiste marginal.
Pourtant, l’argument de Browning est plus éloquent : des gens moyens et ordinaires sont capables de commettre des atrocités génocides avec le « bon » concours de circonstances. Jonathan Glover, professeur d’éthique, affirme que le défaut supplémentaire de ces personnes ordinaires est leur manque d’éducation morale. « Le sens de l’identité morale est un aspect important du caractère. Ceux qui ont un sens aigu de ce qu’ils sont et du genre de personne qu’ils veulent être, possèdent une défense supplémentaire contre le risque d’être conditionné dans la cruauté, l’obéissance ou l’idéologie. » Dans ce sens, l’appel du « plus jamais » n’a malheureusement pas été entendu, puisque différents génocides ont été tentés depuis 1945 : au Cambodge, en Serbie, en Bosnie, au Rwanda et au Darfour.
« La dictature de Hitler […] a montré à quelle vitesse une société moderne, avancée et cultivée peut sombrer dans la barbarie, allant jusqu’à la guerre idéologique, la brutalité et l’avidité à peine imaginable, et au génocide tel que le monde ne l’a jamais connu […] Elle a montré de quoi nous sommes capables. »
Le fond de tout ça, c’est que l’aptitude de la nature humaine à faire le mal varie selon les circonstances. La liberté de faire le mal est à la fois limitée et élargie par ceux qui ont autorité. Aujourd’hui, une personne ne pourrait pas assassiner tant de personnes sans être arrêtée et incarcérée ou exécutée. Comme Hitler et ses hauts responsables étaient l’autorité suprême sur la nation allemande, ils ont pu assassiner des millions de Juifs. Et avant de finalement renverser le régime hitlérien, les forces alliées ont elles-mêmes renoncé à une intervention qui aurait ralenti les massacres dans les camps de la mort. À plusieurs reprises, des bombardiers alliés sont sciemment passés à quelques kilomètres d’Auschwitz et de ses voies ferrées sans rien entreprendre pour perturber les opérations du camp. Les raisons font l’objet d’un débat passionné, mais la somme des preuves indique que par leur inaction, les Alliés ont coopéré de manière passive avec les Nazis, alors que les responsables nazis des camps ont agi de manière active en étant directement impliqués.
La leçon fondamentale
À certains égards, le monde actuel est très différent de celui de l’époque nazie : il a été profondément immunisé contre les fléaux du fascisme. L’Allemagne fait aujourd’hui pleinement partie de l’Union européenne. Après l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide, une nouvelle ère de paix – avec des gouvernements orientés vers la démocratie, un commerce et une communication globalisés et un développement matériel – a pu commencer.
Mais n’oublions jamais la leçon fondamentale : le prix de la paix et de la liberté, c’est la vigilance ininterrompue accompagnée de l’action personnelle et collective. Des gouvernements sains et stables attachés à la paix, la liberté et le bien-être de tous les peuples et dans leurs rapports les uns avec les autres, sont, à un certain niveau, l’antidote du génocide. Pourtant, comme nous l’avons déjà fait remarquer, le monde a connu différentes tentatives de génocide. Invariablement, cela a lieu lorsqu’il n’y a pas de gouvernement respectueux des lois et compatissant et que les forces élémentaires conspirent pour réveiller les aspects les plus bas de la nature humaine en l’absence de toute certitude morale personnelle. Cela souligne l’importance qu’il y a à ce que les individus et les collectivités agissent moralement. La communauté internationale doit s’engager à faire tout ce qui est en son pouvoir pour anticiper les conflits qui s’annoncent, et les gens doivent reconnaître le besoin de se développer moralement afin d’éviter toute forme de violence aggravée.
La chose regrettable, c’est que dans un monde imparfait, les menaces génocides ne peuvent jamais être complètement écartées. En fait, il est probable qu’il y ait d’autres génocides, à moins que la menace ne soit activement restreinte à un niveau individuel, où nous pouvons tous agir. C’est la nature humaine qui doit changer. Et c’est exactement le sujet qui est évoqué dans la Bible et articulé dans les pages de ce magazine. Selon le dessein divin, la nature humaine, vengeresse, hostile et violente, peut être changée pour refléter la nature divine qui est amour. Et lorsque le dessein divin sera totalement accompli, ce changement dans la nature humaine aura eu lieu dans le monde entier.
C’est seulement sous le règne divin à venir sur cette terre, lorsque les défauts collectifs de la nature humaine seront traités, que la menace de génocide sera finalement éliminée. Jusque-là, les pays, les institutions et les individus peuvent seulement faire de leur mieux pour limiter, et si possible, vaincre les forces du mal, quel que soit le moment ou l’endroit où elles se dressent.
Une façon évidente de faire sa part au niveau individuel serait de mener une vie basée sur la règle d’or : traiter les autres comme nous aimerions être traités (Matthieu 7 : 12). Même si c’est une maxime biblique, elle a été récemment votée en Angleterre comme étant le candidat n° 1 pour une nouvelle série de « commandements » laïques pour la vie au 21ème siècle. C’est dans ces normes de comportement divinement mandatées que se trouve l’antidote suprême à la violence de la nature humaine. Dans un tel monde, il n’y aura ni mal actif ni mal passif.