La crise du Darfour et la guerre civile soudanaise de 50 ans
L’attention du monde entier a été attirée sur les évènements qui se déroulent au Darfour, déclenchant un tollé général de la part des organisations humanitaires, des chefs de gouvernement et des médias. D’innombrables réunions ont été tenues au plus haut niveau du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Pourtant la situation au Darfour ne cesse d’empirer. Pourquoi ?
Francis Deng, ancien ministre des Affaires étrangères soudanais, et jusqu’à octobre 2004, représentant des Nations Unies sur les problèmes des PDI, croit que c’est parce que le conflit au Darfour est la manifestation d’un problème plus profond que connaît le Soudan.
« Très longtemps, le Soudan a été observé en termes de division entre le sud et le nord », note-t-il. « Le nord est musulman et arabophone et a longtemps essayé d’imposer un État islamique au sud. Le sud est plus africain en termes de race, de culture et de religion. Son identité est africaine, avec des influences chrétiennes et une orientation occidentale. »
Depuis 1955, la guerre civile a été quasiment permanente entre le nord (où est située Khartoum, la capitale) et le sud, avec une interruption de 11 ans à partir de 1972, lorsqu’un accord de paix a accordé aux habitants du sud une autonomie régionale limitée. Mais les combats, menés par le principal groupe rebelle du sud, l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS), et son bras politique, le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS), ont repris en 1983, après que le Président Gaafar Nimeiri eût dissout le gouvernement régional et imposé la charia (loi sacrée islamique) dans toute la nation.
« Lorsque la guerre a repris en 1983, le mouvement rebelle du sud a commencé à changer l’objectif de la guerre, qui n’était plus la séparation mais plutôt le changement de caractère du pays », fait remarquer Deng.
Cela a à voir avec le fait, toujours d’après Deng, que le Soudan ne correspond pas à l’image de pays arabe ou musulman qui a été projetée. « Au nord, il y a un petit groupe de personnes qui affirment être arabes – ce sont ceux qui ont dominé le gouvernement soudanais et donné une étiquette arabe au pays, poursuit-il, mais c’est en fait un mélange africain-arabe avec l’élément africain très visible, mais dans leurs esprits ils mettent l’accent sur l’élément arabe. » Lorsque les rebelles du sud ont repris le combat en 1983, ils se sont battus contre le label « arabe » qui avait été imposé à la nation entière, rajoute Deng.
Au milieu des années 80, des groupes tribaux vivant au centre du pays ont rejoint le conflit mené contre le gouvernement soudanais. À la fin des années 80, « les groupes non arabes dans les autres régions du nord, qui avait été considérées comme faisant partie de l’identité arabe et musulmane, y compris le Darfour, ont commencé à se révolter contre Khartoum », explique Deng. « Ils ont commencé à voir que non seulement ils n’étaient pas les Arabes correspondant à l’image qui avait été donnée d’eux, mais qu’en plus ils étaient discriminés pour des raisons raciales. »
En 1991 un groupe de Darfouris organisa une rébellion qui fut coordonnée et soutenue par des Africains noirs et arabes. Cette rébellion fut écrasée avant de redémarrer en février 2003, à une époque où le gouvernement de Khartoum et le sud négociaient un accord de paix qui s’avérait très prometteur. « Le gouvernement soudanais fut surpris par cette rébellion, et très affecté, et en fait presque vaincu », ajoute Deng. « Le gouvernement s’est tourné vers les milices tribales arabes, qui avaient elles-mêmes déjà été en conflit avec les non Arabes au sujet de ressources. Le gouvernement a armé ces milices arabes (connues sous le nom de djanjaouids) et les a lâchées dans les communautés. »
Depuis février 2003, des millions de civils Darfouris innocents ont été tués ou chassés de leurs villages, qui ont été, eux, détruits. Alors que faire pour arrêter ce génocide ? Bien évidemment, il faudrait que le gouvernement soudanais ordonne aux djanjaouids de stopper leur campagne de nettoyage ethnique. Selon Deng, le problème est très profond parce que, premièrement, « il est impossible que le gouvernement soudanais se retourne contre ses propres alliés (les djanjaouids), qui l’ont sauvé de la main des rebelles. Deuxièmement, la guerre au Darfour continue, et donc le gouvernement aura peut-être encore besoin des djanjaouids à l’avenir. »
Deng ajoute qu’il est important de ne pas considérer le Darfour de manière isolée mais comme partie intégrante de ce qui se passe actuellement au Soudan. « Le gouvernement soudanais a été sans pitié au Darfour, poursuit-il, parce qu’il souhaitait envoyer un message aux autres régions non arabes du nord qui pensaient éventuellement se rebeller, pour les avertir que s’ils se rebellaient, les conséquences seraient graves. »
En attendant, le gouvernement soudanais et les groupes rebelles APLS/MPLS du sud ont signé un accord de paix préliminaire le 31 décembre 2004. Durant ces dernières décennies, il y a eu de nombreux accords de paix et de cessez-le-feu entre les forces gouvernementales et le sud, accords qui ont tous été violés. Si l’accord actuel est maintenu, « cela améliorerait certainement la situation entre le nord et le sud, fait remarquer Deng, et le gouvernement soudanais pourrait également se désengager de la guerre au Darfour. »