La grossesse d’adolescentes : l’inextricable tissu
Été 2008. Alors que les portes des écoles américaines se fermaient derrière des élèves, le directeur du lycée de Gloucester, Massachusetts, faisait un commentaire qui allait mettre sa ville sous le feu des projecteurs des médias. Le commentaire (que la montée en flèche des grossesses récemment observée dans son établissement était le résultat d’un « pacte » conclu entre sept ou huit adolescentes qui voulaient avoir des bébés et les élever ensemble) fut adressé à un reporter du magazine Time. Lors de cette déclaration, le directeur n’imaginait pas à quel point cette histoire allait être explosive.
Lorsque les médias ont aussitôt afflué vers la ville, Gloucester est devenue le centre d’une attention vraiment gênante. Le lundi suivant, le maire de la ville a tenu une conférence de presse en niant qu’il existait des preuves de ce pacte et suscitant une discussion sur les médias et leur éthique de travail. Les reporters, fut-il précisé, n’auraient pas dû reprendre les commentaires du directeur sans vérifier si c’étaient des faits.
Même si au bout du compte, il s’est avéré que certaines de ces adolescentes enceintes s’étaient réjouies (du moins au début) de leurs grossesses, l’attention fut pendant un court moment détournée avec succès du vrai problème : à savoir que la grossesse d’adolescentes célibataires est nuisibles pour les futures jeunes mères, leurs enfants et leurs entourages. Mais le sujet n’a cessé de refaire surface les derniers mois du fait que d’autres évènements ont rappelé aux médias que la question des mères adolescentes ne se limite pas à une ville de la Nouvelle-Angleterre, ou même à trois pays anglophones, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Angleterre, largement considérés comme ayant les taux de mères adolescentes les plus élevés parmi les nations développées.
En fait, le problème est mondial. Parmi les nations qui ont des taux encore plus élevés que les États-Unis figurent le Venezuela, le Mexique, l’Argentine et l’Afrique du Sud. Lorsque des nations qui sont peut-être désignées comme « moins développées » sont inclues dans les calculs, ces trois pays anglophones donnent l’impression de relativement bien s’en sortir : les taux observés dans certaines régions d’Amérique latine et d’Afrique atteignent des niveaux deux, trois ou quatre fois plus élevés qu’aux États-Unis.
Mais que nous disent vraiment des comparaisons statistiques entre différentes nations ? Même si les analystes savaient quelles statistiques valent vraiment la peine d’être analysées, arriver à donner un sens aux chiffres pour aborder le problème représente un défi différent. C’est un tissu inextricable. Tout d’abord, il faut comprendre que les « taux de naissance » et les « taux de fertilité » ne sont pas tout à fait les mêmes que les « taux de grossesse » Une nation peut présenter de forts taux de grossesse à l’adolescence, mais s’ils sont compensés par un grand nombre d’avortements, le faible taux de naissance qui en résulte donne la fausse impression qu’il y a moins d’adolescentes qui deviennent enceintes dans ce pays. Le problème est aussi assombri par le fait que certains pays préfèrent ne pas diffuser les taux d’avortement, et que d’autres ne peuvent pas le faire, car pour différentes raisons, ils ne les connaissent pas.
« Comme la grossesse d’adolescentes est un problème qui intéresse depuis peu, il y a une pénurie d’informations empiriques sur le sujet. La plupart des recherches ont souffert d’imperfections méthodologiques […] »
Une autre difficulté réside dans le fait que de nombreuses nations ne séparent pas les statistiques de grossesse selon le statut marital. Cela signifie que dans certains cas, le nombre peut être faussé par un pourcentage important d’adolescentes de 18-19 ans qui sont mariées. Dans certaines cultures, les jeunes femmes profitent d’une famille élargie et qui apporte un grand soutien. Par conséquent, elles ne sont pas exposées aux mêmes risques que les adolescentes célibataires dont les vies seront bien plus touchées par le combat d’élever des enfants dans de dures conditions économiques. Ceci constitue une distinction importante vu que des études ont invariablement montré que les enfants qui sont élevés à la fois par leur père et leur mère jouissent d’un bien-être supérieur pratiquement dans tous les domaines (voir Les pères sont-ils nécessaires ?). Il est évident que même les parents adolescents mariés auront des défis, mais surtout dans des cultures où la famille élargie est généralement présente, il sera plus facile de vaincre ces défis.
La seule conclusion possible est que les statistiques seules en disent peu sur la façon dont il faut aborder le problème. Les paroles du célèbre statisticien anglais Major Greenwood furent rappelées dans un commentaire que Colin White, professer à Yale, fit dans le numéro de décembre 1964 de The American Statistician. « Le grand drame de la naissance, de la vie et de la mort devient dans les mains du sociologue statisticien un rapport sur ‘les mariages, les bébés morts, les vies brisées, les hommes devenus fous, le travail et le crime, tous traités en vrac, avec les larmes essuyées’ ».
Des histoires qui s’entrelacent
Bill Albert, de la National Campaign to Prevent Teen and Unplanned Pregnancy in the United States (campagne nationale de prévention des grossesses d’adolescentes et non planifiées), est d’accord avec l’affirmation de White : « Je crois que c’est vrai », dit-il. « Nous sommes souvent très bons pour faire des rapports. Nous ne sommes pas très bons pour raconter des histoires. » Il pense que ce sont les histoires qui nous aident à comprendre ce qui doit changer, surtout les histoires sur ce que ratent les adolescents lorsqu’ils voient qu’ils doivent reporter leur propre enfance pour quelqu’un d’autre. Mais il y a d’autres histoires que les adolescents doivent entendre – des histoires sur les espoirs et les rêves que les parents ont concernant leurs enfants ; des histoires sur l’importance des idéaux et aspirations de l’enfant ; des histoires sur les réalités comme, par exemple, à quel point le fait d’être parent adolescent affecte la capacité d’un adolescent à pourvoir pour l’avenir de sa famille, ou sur les réalités de la nécessité d’élever un enfant en bas âge.
Le personnel de l’enseignement scolaire fait de son mieux pour combler le vide pédagogique, mais les règlements des écoles les limitent souvent à seulement distribuer des informations techniques, laissant parfois les écoliers et collégiens découvrir les réalités de la manière difficile. Dans le même ordre d’idées, Juanita Felice-Zwaryczuk, professeur de lycée à Long Island, New York, a déclaré à Vision: « Dans les classes de mon lycée, les mères enceintes sont toutes rayonnantes avant, mais abasourdies après la naissance de leur enfant. Je n’ai jamais vu une seule d’entre elles recommander ensuite d’avoir la même expérience. Mais pourtant les autres filles les envient quand même. J’essaie, dans les limites des règlements académiques, d’aider les filles à trouver l’amour-propre nécessaire pour qu’elles désirent un autre avenir que celui que leur assure le fait d’être jeunes mamans, mais c’est une tâche difficile. »
En effet, il ne semble guère possible que la responsabilité incombe uniquement aux éducateurs publics. Albert reconnaît que les écoles ont un rôle important à jouer pour éduquer les enfants dans le but de limiter les risques de grossesses d’adolescentes, mais il avertit également que les histoires les plus importantes sont celles que les enfants entendent à la maison. « Placer ces problèmes dans le contexte des valeurs de votre propre famille n’est pas le travail de l’école », affirme-t-il. « Si les enfants grandissent dans une famille chaleureuse, d’un grand soutien, unie et ayant des règles et des attentes claires – on peut les appeler les règles bien connues de grand-mère – les recherches semblent indiquer qu’ils sont dans une meilleure position. »
Mais malheureusement, les administrateurs publics minimisent souvent les importantes contributions qui devraient êtres faites par les familles. Par exemple, la Teenage Pregnancy Strategy (programme pour les adolescentes enceintes) en Angleterre, qui a lancé une campagne pour « réduire de moitié le taux de gestation chez les moins de 18 ans d’ici 2010, ne parle pas beaucoup de ses plans concernant l’implication parentale même si le gouvernement dit que le programme exigera « l’engagement actif de tous les grands partenaires clés qui ont un rôle à jouer pour réduire les grossesses d’adolescentes ». Mais il indique que ces partenaires sont « la santé, l’éducation, les services sociaux, les services d’aide à la jeunesse, et le secteur associatif ». L’on ne peut qu’espérer que la formulation du programme ne mentionne pas les parents et les familles parce que leur statut de « partenaire clé » est pris pour acquis.
Des fils qui se démêlent
La réalité est que le fait de définir le rôle de la famille en réduisant les grossesses d’adolescentes exige de regarder de plus près le problème épineux et c’est à ce stade du processus que l’on commence généralement à se montrer du doigt. Les parents s’en prennent aux écoles et aux médias, les médias rejettent la responsabilité sur les parents et les écoles, et la plupart des personnes impliquées tiennent finalement le gouvernement pour responsable. C’est comme si le fait de chercher à éclaircir les éléments de ce problème était un jeu de reproches à somme nulle.
Mais l’intérêt d’examiner les facteurs intervenant dans les grossesses d’adolescentes ne consiste pas à faire porter le blâme. Il est également faux de dire que si l’on constate qu’un facteur contribue au problème, les autres sont par conséquent absous. En fait, découvrir l’origine de n’importe quel problème nécessite d’examiner chaque influence importante dans le contexte plus large de la façon dont les facteurs sont liés. Et dans ce cas précis, ils s’enroulent dans une pagaille épineuse.
Ce point est bien illustré par une étude entreprise par Anita Chandra, scientifique du comportement, et ses collègues de RAND, une compagnie de recherche indépendante et internationale. Publiée dans l’édition de novembre 2008 du magazine Pediatrics, elle aborde le lien qui existe entre la télévision et la grossesse d’adolescentes. Les chercheurs ont trouvé que les adolescents qui regardaient des programmes à fort contenu sexuel risquaient deux fois plus de devenir parents lors des années suivantes. En surveillant les sujets participants à l’étude, l’équipe de recherche a mesuré l’exposition à des contenus sexuels à partir de méthodes très détaillées pour classer par catégories les scènes individuelles, ce afin d’évaluer les 23 programmes différents qui étaient sélectionnés pour la recherche.
« Nos résultats indiquent qu’une exposition fréquente à un contenu sexuel à la télévision augure une grossesse précoce, même après avoir pris en considération l’influence d’une variété d’autres corrélatifs connus », a déclaré l’équipe de RAND. De plus, Chandra et ses collègues ont noté que les émissions de télévision envoient généralement aux adolescents le message selon lequel le sexe comporte peu de risques ou de responsabilités. Ce que cela signifie pour les parents devrait être évident : même si les chercheurs n’évoquaient pas un lien causal entre le fait de regarder la télévision et la grossesse précoce, la corrélation indique un besoin de contrôler et limiter ce que les adolescents regardent.
Mais ce n’est pas toujours aussi facile que ça. La recherche menée par RAND a également reconnu d’autres facteurs qui augmentent les risques de grossesses d’adolescentes. « Vivre dans un foyer à parent unique, le faible niveau d’éducation des parents, les aspirations limitées des jeunes au niveau de l’éducation et de la carrière, et les attitudes ambivalentes ou positives envers la grossesse ont été identifiés comme des influences importantes sur le timing de la première relation sexuelle et de la première grossesse », ont-ils précisé. « Il existe aussi des preuves qui montrent que la grossesse d’adolescentes est plus importante parmi les jeunes qui ont de moins bonnes notes et qui adoptent des comportements délinquants. » Des études antérieures ont également découvert des différences culturelles dans les taux de grossesses précoces. D’après les chiffres les plus récents disponibles au CDC, les Centers for Disease Control américain (centres de contrôle des maladies), les adolescents latino-américains ont des taux de grossesse trois fois plus élevés que les adolescents blancs, alors que les adolescents afro-américains ont un taux deux fois plus élevé que les Blancs.
À l’évidence, ces variables sont tellement entrelacées qu’il est quasiment impossible de les démêler. Les adolescents latino-américains et afro-américains ont plus de risques de vivre dans des communautés désavantagées et d’avoir des opinions plus positives sur la fait d’être jeunes parents. Ils ont plus de risques de vivre dans des foyers à parent unique où le père est absent. Et bien sûr, il a été démontré que l’absence du père fait augmenter le risque de grossesse précoce – tout comme il a été démontré que ça fait augmenter d’autres facteurs à risque comme les mauvaises notes et le comportement délinquant.
En poursuivant sur le thème de l’absence du père, l’on reconnaît aussi que les mères célibataires actives ont un problème non seulement lorsqu’il s’agit de contrôler ce que leurs enfants regardent généralement à la télévision, mais aussi au niveau de leurs revenus, surtout si elles ne jouissent pas du soutien de leur famille élargie. Éprouvée et stressée par la responsabilité unique de nourrir et habiller ses enfants, le plus grand défi d’une mère célibataire est peut-être d’accorder à ses enfants l’attention dont ils ont besoin.
Un autre problème est que ses filles ont tendance à entrer en puberté plus tôt que ses pairs. Une étude réalisée en 2004 par l’Institute for Mind and Biology de l’université de Chicago ne fut pas la première à établir le lien entre l’apparition précoce des premières règles et les pères absents, mais elle a contribué aux recherches existantes en trouvant que les jeunes filles ayant une apparition précoce des premières règles et des pères absents montrent un intérêt beaucoup plus important pour les enfants que leurs pairs qui sont réglées à un âge plus avancé.
Quelques mois plus tard, le Journal of Adolescent Health a publié une étude menée par des chercheurs de l’université de Caroline du Nord montrant qu’il existe un lien entre la puberté précoce et un intérêt plus précoce à regarder des contenus sexuels dans les médias. Le souci est que ces jeunes filles qui se développent de manière précoce avaient aussi plus de risques que leurs pairs de croire, après avoir regardé ce contenu sexuel, que les messages envoyés par les médias approuvaient de manière tacite les relations sexuelles chez les adolescents.
« Vu que les analyses de contenu ont montré que les médias ont effectivement tendance à dépeindre le comportement sexuel comme normatif et sans risques, nous pouvons éventuellement nous attendre à ce que toutes les jeunes filles perçoivent que les médias leur donne la permission d’avoir des relations sexuelles », affirmaient les chercheurs. Cependant, dans cette étude, les plus jeunes filles réglées précocement interprétaient plus souvent les contenus médiatiques comme étant permissifs. »
Les chercheurs ont qualifié les médias de « super entourage sexuel » pour les filles réglées précocement. Ils ont avancé l’hypothèse selon laquelle « il se peut que les filles réglées précocement cherchent des informations et des normes dans les médias parce que leurs pairs dans la vie ne sont pas aussi intéressés par le sexe et la sexualité qu’elles ».
L’effet de l’absence du père sur la grossesse d’adolescentes ne s’arrête pas là. En fait, ce fil pourrait s’avérer être le plus long et le plus difficile dans la toile. Les pères (ou mères) absents font que les enfants sont vulnérables aux abus sexuels dans les foyers, le plus grand risque étant les hommes ayant un rôle de garde sur les enfants ou cohabitant avec une mère célibataire.
La manière dont les abus sexuels sur enfants contribuent au problème des grossesses d’adolescentes va bien au-delà de ce qui est évident. Dans une étude réalisée en 1999 et publiée dans le magazine Adolescence, les chercheurs Nancy D. Kellogg, Thomas J. Hoffman et Elizabeth R. Taylor ont examiné cette question parmi un groupe de diverses mères adolescentes inscrites à un programme d’éducation des enfants d’âge scolaire au Texas après avoir découvert que plus de la moitié des filles (53 %) avaient subi une expérience sexuelle non désirée avant leur première grossesse.
Pour 13 % des adolescentes abusées, la grossesse fut la conséquence directe de cet abus. Mais il y avait également des conséquences indirectes tout aussi importantes : par exemple, plus une expérience sexuelle non désirée a eu lieu tôt, plus vite l’adolescente a cherché à avoir une expérience voulue. Certaines ont réagi à l’abus en fuyant, ou en essayant d’effacer l’expérience en se « soignant » elles-mêmes par l’alcool et les drogues. Tous ces comportements sont connus pour augmenter la probabilité que ces filles finiront par être de nouveau abusées, et en fin de compte, de nouveau enceintes.
Les filles qui ont été victimes d’abus sexuels sont également souvent victimes de violences. D’autres dysfonctions familiales, comme l’alcool et l’usage de stupéfiants, sont souvent (mais pas toujours) allées de paire avec les abus sexuels. Pire encore, une grande partie des filles (60 %) se sont tournées vers les adultes pour chercher de l’aide, mais selon l’étude, seulement la moitié de ces adultes sont intervenus d’une manière ou d’une autre.
« Bien que les interventions à tous les niveaux, du soin prénatal à l’éducation des parents, soient essentielles pour réduire les risques physiques, émotionnels, académiques et sociaux sur les adolescents et leurs bébés, les efforts à venir devraient peut-être se concentrer sur la prophylaxie primaire. »
La recherche de Hoffman le convainc que n’importe quelle approche pour la prévention de la grossesse d’adolescentes nécessite le fait de parler des dysfonctions familiales fondamentales. « Il y aurait une relation entre bon nombre de ces facteurs : l’abus d’alcool, l’usage de stupéfiants et le passage à l’acte sexuel », a-t-il dit à Vision. « Le passage à l’acte sexuel vient du fait d’être sexualisé à un jeune âge par des expériences sexuelles non désirées. » Mais selon Hoffman, « il y a une longue liste de facteurs de risque concernant les abus sexuels qui peuvent être conceptualisés en terme de famille. Ce serait premièrement, et principalement, la présence d’un beau-père ou d’un homme qui joue le rôle de père mais qui n’est pas le vrai père. D’autres facteurs sont l’absence de la mère, le manque d’éducation de la mère (la mère n’est pas allée jusqu’à la fin du cycle secondaire), la présence d’une mère émotionnellement distante ou sexuellement répressive, ou la présence d’un père physiquement distant (manquant de tendresse) ».
Hoffman explique pourquoi la proximité physique est facteur protecteur dans les relations entre pères et filles : « Un père qui est impliqué dans le soin physique apporté à un enfant en tant que bébé – changer les couches, nourrir le bébé fille et exprimer de l’affection physique – risque moins d’abuser qu’un père qui ne participe à ces tâches. Pour pouvoir abuser de quelqu’un, l’auteur de sévices a besoin de faire un certain travail d’objectivation. Lorsque le père est occupé à prendre soin quotidiennement de sa fille, il est difficile de l’objectiver. »
Mais ce ne sont pas que les filles qui sont en danger. Hoffman souligne que les garçons qui ont subi des violences sexuelles risquent davantage de contribuer au problème de la grossesse d’adolescentes. D’une façon ou d’une autre, « quelqu’un qui a subi des violences risquent davantage de commencer une activité sexuelle plus tôt. » Et puis il y a le facteur de l’amour-propre pour les filles, au-delà de la possibilité qu’elles cherchent peut-être seulement une source d’attention masculine. Malheureusement, ceci peut faire qu’une fille va devenir vulnérable à une deuxième grossesse. « Lorsqu’une fille est enceinte, elle occupe tout d’un coup le devant de la scène », explique Hoffman. « Tout le monde veut savoir comment elle va – ce qui renforce de manière incroyable le fait d’être enceinte. Bien sûr, une fois qu’elle a accouché, cette attention particulière baisse rapidement. Et au bout d’un certain temps, elle disparaît complètement et la fille désire à nouveau ce genre d’attention. »
Hoffman met en garde que ce cycle est loin d’être universel. Si les jeunes mères sont encouragées à poursuivre leurs études et sont aussi éduquées sur le genre de soins et d’éducation dont les petits enfants et les enfants ont besoin, elles commencent alors à développer l’amour-propre qui leur manque – le genre qui n’est pas fondé sur le fait d’être enceinte ou dépendant du fait de trouver une source d’attention extérieure.
C’est précisément le genre d’amour-propre dont Martin E. P. Seligman, souvent appelé le père de la psychologie positive, dit qu’il vient du fait « réussir » plutôt que de simplement « se sentir bien ».
Dès 1967, Stanley Coopersmith, psychologue à l’université de Californie-Davis, a cherché à découvrir les genres d’éducation parentale qui favorisaient le développement de cet amour-propre et a publié une compilation de ses études sur le sujet, intitulée The Antecedents of Self-Esteem (les antécédents de l’amour propre). Ses conclusions rappellent le commentaire d’Albert sur « les règles bien connues de grand-mère ». Alors que Coopersmith a noté que l’acceptation parentale des enfants était associée de manière positive à une bonne opinion de soi-même, il a ajouté que « la croyance selon laquelle les parents qui acceptent les enfants sont nécessairement permissifs, non directifs et non punitifs semble être une généralisation exagérée qui obscurcit les débats et qui s’est avérée fausse à maintes reprises ».
Par opposition, Coopersmith a trouvé que les enfants dont les parents définissaient des limites bien claires et étendues tout en étant constants pour les imposer avec des techniques positives avaient une bien meilleure opinion d’eux-mêmes que ceux qui avaient des limites mal définies et avaient connu une importante permissivité.
« Les adolescents continuent de dire que ce sont leurs parents qui influencent le plus leurs décisions concernant le sexe. »
Même si l’amour-propre n’est qu’un fil à délier parmi toux ceux qui forment le nœud des grossesses d’adolescentes, ce que produit l’amour-propre semble être aussi ce qui protège les adolescents d’autres menaces à leur bien-être. Peu de facteurs, voire aucun, parmi ceux qui ont été considérés – l’abus d’alcool et l’usage de stupéfiants, la délinquance, le passage à l’acte etc. – sont immunisés contre l’influence de ce que Coopersmith résume comme « l’affection parentale », « des limites clairement définies » et « un traitement respectueux ».
Une toile différente
Cette piste mène à ce qui pourrait être le concept le plus important qui perce la toile de facteurs contribuant aux grossesses d’adolescentes : si les enfants doivent développer les qualités dont ils auront besoin pour prendre de bonnes décisions en tant qu’adolescents, ils ont absolument besoin de l’aide et de l’intérêt d’adultes qui sont engagés à les élever, les éduquer et les guider depuis la petite enfance à l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte. Malheureusement, même avec deux parents, ils n’ont pas la garantie que ce besoin fondamental soit couvert, et même les familles apparemment parfaites rencontrent bien des défis.
C’est à ce stade que la famille étendue et la population locale deviennent importantes. Dans un sens, sans doute qu’il faut vraiment un village pour élever un enfant. Après tout, une fois devenus parents, les adultes ont toujours besoin d’aide physique, de soutien émotionnel et doivent faire preuve d’une forte résilience personnelle et d’un grand dévouement. L’idéal serait que le travail de parents ne soit pas pris en charge par une seule personne, et surtout pas par une personne trop jeune pour gérer les besoins stressants qui en font partie.
Ce n’est pas seulement le bien-être de la jeune mère célibataire qui est en jeu. Lorsque les jeunes mères ne comprennent pas les besoins de l’enfant ou ont des difficultés à pourvoir à ces besoins par manque de soutien, le lien crucial qui doit être créé entre le parent et l’enfant en souffre. Par conséquent, peut-être que la prochaine génération cherchera aussi à être acceptée en adoptant des comportements à risque.
C’est pour cette raison que lorsque les mesures préventives ont échoué, Hoffman estime « qu’il est très important de ne pas faire de ces filles des parias. » Avec une nouvelle vie dont il faut se soucier, le devoir de la famille est plus que jamais obligatoire. L’on ne peut qu’espérer que dans un tel cas les familles et les populations locales dirigent leur attention collective vers le tissage d’une toile de soutien afin de pourvoir aux besoins physiques et émotionnels du nouveau membre de la famille.
Et l’attention est le mot clé. Comme Albert le souligne, il y a certaines histoires que les adolescents ont désespérément besoin d’entendre et il n’est jamais trop tard pour que les parents les racontent.
« Parfois, après sa première grossesse, l’adolescente tombe de nouveau enceinte quelques années après », dit Hoffman. « Et de nouveau enceinte après ça, sans forcément épouser le père voire se mettre en ménage avec le ou les pères. Donc l’histoire n’est pas terminée une fois qu’une adolescente tombe enceinte pour la première fois. Elle a encore besoin d’être éduquée. » Et peut-être que parfois les parents ont autant besoin d’être éduqués que les adolescents.
Quoi qu’il en soit, il semblerait qu’Albert ait touché le fond du problème : en tant que parents, nous devons mieux parler à nos enfants de ce qui est important, et nous devons leur dire ces choses souvent. Des histoires concernant les buts et les aspirations, les valeurs et les attentes, les réalités et les vérités sur les conséquences de mauvais choix. En parlant de ces choses, le message non formulé que les adolescents entendront est qu’ils sont assez importants aux yeux des parents pour que ces derniers leur consacrent du temps.