Le monde sens dessus dessous
Dans son roman à sensation, Polar Shift, Clive Cussler a imaginé que la fin du monde était provoquée par une transaction commerciale qui avait très mal tournée.
Alors que 2012, la date tirée du calendrier maya, approche, des scénarios catastrophiques de genres différents ont été prédits. Bien que les Mayas aient attendu en fait une époque de renouveau plutôt que la fin de la civilisation, si nous en croyons les prophètes modernes de malheur, un évènement soudain, provoqué par des forces physiques venant de la terre, va très prochainement avoir lieu, causant des dégâts inimaginables sur la planète.
Ce genre de pronostic semble attirer quelque peu les attentions, surtout lorsque les partisans invoquent la science pour soutenir leurs affirmations. Mais ces scénarios jouissent-ils d’un quelconque soutien ? À part les ravages occasionnels causés par un grand volcan, un tremblement de terre ou un tsunami, la terre semble être un endroit plutôt stable et qui ne change pas. Les désastres naturels, comme ceux qu’ont récemment connus Haïti ou l’Indonésie, peuvent en effet provoquer des dégâts importants pour des milliers de personnes et entraîner des changements climatiques dans les années à venir (à l’exemple des éruptions volcaniques historiques), mais même les plus grands évènements géologiques de cette nature sont minimes par rapport à la planète dans son ensemble. Est-ce scientifiquement raisonnable d’exagérer l’importance de ces évènements ?
La destruction potentielle la plus souvent mise en avant est celle du « changement de pôles ». Commençant à devenir célèbre dans les années 50 grâce à Charles Hapgood, professeur d’histoire, la théorie décrit que la croûte terrestre glisse sur la couche inférieure jusqu’à ce que le pôle nord et le pôle sud s’inversent tout d’un coup. Comme les personnages du roman de Cussler le montrent, un tel changement soudain aurait sans aucun doute un effet dévastateur.
Les adeptes de la théorie du changement de pôles aiment faire remarquer que Hapgood a suscité et reçu le soutien d’Albert Einstein. « La connaissance des faits géologiques et paléontologiques peuvent avoir une importance capitale dans ce domaine », écrivit Einstein à Hapgood. « En tout cas, il ne serait pas justifié d’écarter l’idée comme étant à priori aventureuse ». Plus tard, Einstein écrivit la préface du livre de Hapgood intitulé Earth’s Shifting Crust (1958), notant que « la seule hypothèse douteuse est que la croûte terrestre peut se déplacer assez facilement sur les couches internes ».
Cinquante ans plus tard, ce déplacement aussi facile est-il toujours considéré comme possible ? En fait, les connaissances actuelles en dynamique sismique valident l’avertissement d’Einstein. Au lieu de soutenir que c’est la croûte terrestre entière qui se déplace en un seul morceau (comme l’imaginait Hapgood), la théorie tectonique moderne affirme qu’il existe un lent processus d’expansion océanique et de subduction continentale, qui font que des parties de plaques divergent les unes des autres ou convergent les unes vers les autres. Ce contact qui existe entre les plaques est à l’origine de la plupart des volcans et tremblements de terre.
C’est une théorie très différente de l’hypothèse de Hapgood. En considérant que dans un sens la croûte terrestre se déplace en haut de la matière interne plus dense de la planète, il y a bien un glissement de la partie externe au-dessus de la partie interne, comme l’a évoqué Hapgood. Et sur de longues périodes, les continents bougent au-dessus de la surface de la terre. Mais ce mouvement est très lent, correspondant environ à la vitesse à laquelle poussent les ongles (environ deux centimètres par an). Il n’existe aucune preuve que cette vitesse change soudainement ou qu’elle puisse entraîner un changement de pôle géologique.
Indépendamment de ce mouvement, les pôles magnétiques de la terre bougent également et, de manière assez rare, pivotent, le sud passant au nord et le nord au sud. Des roches contenant du fer agissent comme un compas gelé, révélant ainsi l’époque précise de ces changements magnétiques, qui, à leur tour, peuvent être en corrélation avec le mouvement continental. Mais les changements de pôles magnétiques n’entraînent pas de destruction à la surface de la planète.
Bien que la terre soit en effet un endroit qui connaît de lents changements dynamiques, elle a apparemment échappé depuis assez longtemps à toute autodestruction cataclysmique. Donc au bout du compte, ceux qui prédisent que le monde va tomber dans le chaos par un changement de pôles soudain et catastrophique peuvent évoquer le soutien que leur apporte la science, mais il semblerait plus correct d’affirmer dans ce cas-là que la science et la fiction sont aux antipodes l’une de l’autre.