Où est passée toute l’eau ?
Selon Aaron Wolf, expert sur les questions d’eau au Moyen-Orient, « le climat sec de la région n'est pas seul responsable des pénuries d’eau actuelles que connaît le Moyen-Orient. Même avec les sécheresses, la ressource en eau est restée relativement stable au fil des siècles. La plupart des nations savent prendre leurs dispositions en cas de sécheresses. » Il cite, avec d’autres scientifiques, les facteurs suivants comme étant les premières causes de pénuries d’eau que le Moyen-Orient connaît à l’heure actuelle.
Croissance rapide de la population
La plus grande menace pour la ressource d’eau au Moyen-Orient est sans doute sa population en pleine croissance. La population de la région est passée, selon la Banque mondiale, de 20 millions en 1750 à plus de 300 millions en 2000. Selon le taux de croissance anticipé, la population devrait doubler dans les 25 prochaines années.
« Il n’y a pas plus d'eau que ça, » dit Wolf. « Alors que la population de la région augmente, il y a de moins en moins d'eau disponible par personne. » De plus, ajoute-t-il, « il y a un nombre croissant de personnes qui polluent de plus en plus ce qu’il y a, et donc non seulement il y a de moins en moins d’eau disponible par personne, mais ce qui est disponible est moins utilisable. »
La plupart de la croissance de la population est due à l’immigration. En Palestine, parmi les 9 millions de la population totale, 5 millions ont émigré de l’Europe ou d’ailleurs pour former Israël. Le résultat, c’est que la ressource en eau par personne palestinienne a fortement chuté.
À cause de la croissance de la population, « la nappe phréatique, source principale d’eau dans de nombreux pays, est exploitée bien au-delà de son taux de renouvellement, et ce afin de répondre aux besoins plus importants », note Uri Shamir, de l’Institut de technologie d’Israël. Il affirme également que certains aquifères, comme l’oasis d’Azraq en Jordanie et l’aquifère côtier à Gaza, ont été littéralement vidés ces dernières années.
Augmentation du niveau de vie
Le développement économique rapide et l’augmentation du niveau de vie dans la région ont également fait grimper les besoins en eau. Munther Haddadin, conseiller en matière de ressources en eau, affirme qu’ « au Moyen-Orient, la technologie a progressé, et les gens peuvent désormais pomper l’eau à l’endroit de consommation et effectuer des forages jusqu’à la nappe phréatique, ce qui a fait exploser le taux de consommation. »
« Avoir des revenus plus élevés crée des besoins supplémentaires en eau », ajoute David Molden, chercheur à l’Institut international sur la gestion de l’eau. « Lorsque les gens gagnent plus d’argent, ils s’achètent des laves linge et des laves vaisselle, ils veulent prendre une douche tous les jours, nettoyer leur voiture, arroser leur pelouse, remplir leur piscine. Tout ceci fait augmenter considérablement leur consommation d’eau. »
L’urbanisation est un problème lié à ce phénomène. À l’heure actuelle, plus de la moitié de la population habite dans des zones urbaines. « Lorsque les villageois (traditionnellement dépendants du puits du village) d'un pays en voie de développement s’installent dans des appartements d’immeubles, leur consommation d’eau peut facilement tripler », affirme Molden.
Gaspillage et mauvaise gestion
Le troisième secteur problématique concerne la mauvaise gestion de l’eau. De grandes quantités d’eau sont perdues, soit parce qu’elles sont stockées dans des réservoirs ouverts et peu profonds, et donc s'évaporent, soit à cause de fuites dans les canalisations. Wolf estime qu’environ la moitié de l’eau destinée aux villes de Jordanie et des territoires occupés n’arrive pas à destination, et ce à cause de canalisations qui fuient.
Le vol est également un problème. « Les gens exploitent illégalement les canalisations publiques exactement de la même manière que l’on pirate la télévision par câble en Occident », déclare Jamal Saghir de la Banque mondiale. « Il faut souvent utiliser ses mains et une arme à feu pour défendre un bon puits. » En Cisjordanie, l’on rapporte qu’au moins 200 puits illégaux ont été creusés ces deux dernières années.
Un autre problème de gestion concerne la façon dont l'eau disponible est utilisée. Environ 87 % des ressources d’eau douce dans la région sont utilisés pour l’agriculture, et seulement 13 % pour une utilisation industrielle et municipale. De nombreux hydrologues pensent que les pays devraient changer de priorités et passer de l'agriculture à des activités nécessitant moins d’eau.
« Nous devrions prendre d’abord tout ce dont nous avons besoin pour les usages domestiques, et utiliser ensuite le reste pour irriguer, et non l'inverse », affirme Haddadin. « Nous avons une crise parce que nous ne sommes pas capables d’investir assez dans l’industrialisation, donc nous dépendons de l’agriculture qui a moins besoin d’investissements mais davantage d’eau. »