Quel genre de monde voulons-nous ?
Cela faisait quelques années que je n’avais pas interviewé un homme que certains prennent pour la mouche du coche, à la fois stimulant et agaçant par son esprit critique. En retrouvant récemment Jeremy Rifkin, je lui ai demandé ce qu’il pensait de cette façon de le cataloguer. « Elle est juste ! », m’a-t-il répondu. « J’essaie de poser les questions qui doivent être traitées et je m’y efforce depuis trente ans. Je n’ai donc aucune excuse ! ».
Que l’on soit d’accord ou pas avec J. Rifkin et son analyse sur l’orientation de la société occidentale (et, par là-même, du reste du monde), toute personne qui se donne la peine de l’écouter est incitée à une véritable réflexion sur les évolutions qui dépassent notre maîtrise individuelle. Au cours de la dernière décennie, il s’est consacré aux transformations radicales et indéniables qu’ont connues trois domaines : la nature du travail ; la génétique et la recherche biologique ; le passage des marchés et de la propriété vers les réseaux et l’accès.
Certains des centres d’intérêt de J. Rifkin touchent au fondement de nombre de nos dilemmes éthiques contemporains, troubles que nous créons nous-mêmes tandis que nous nous enfonçons dans des domaines jusque là hors des limites des préoccupations et des connaissances humaines. La récente annonce concernant le projet du génome humain entraîne avec elle son énorme potentiel d’amélioration de notre santé et, dans le même temps, une foule de questions éthiques encore non posées. Par le passé, d’autres importantes découvertes de la recherche médicale avaient déjà laissé présager la nature de cette réflexion.
Par exemple, certains sont troublés par l’introduction de l’amniocentèse, technique qui permet de déterminer in utero le sexe du fœtus, ainsi que des malformations chromosomiques telles que le syndrome de Down. Un ami, rédacteur d’un magazine réputé, m’a parlé de sa propre expérience dans ce domaine, alors que nous discutions de l’incidence de l’évolution technologique sur les décisions éthiques. Son épouse et lui avaient eu plusieurs enfants normaux avant la naissance de leur fille cadette, née avec le syndrome de Down. Le recours à l’amniocentèse commençait tout juste à se généraliser. Mon ami m’expliqua que si sa femme avait subi ce test et eu connaissance de cette anormalité, ils auraient pu choisir de mettre un terme à cette grossesse. Or, rétrospectivement, sachant comment leur fille a affecté leur vie, il n’est pas certain que cela aurait été la bonne décision. En effet, selon lui, c’est de cette enfant, la plus jeune et la plus menacée, qu’il a appris davantage que de tous les autres.
Nous sommes susceptibles de connaître des préoccupations de ce type, de nature éthique, tandis que l’avenir décrit par J. Rifkin se précipite vers nous. Quel genre de monde voulons-nous? Cette question est progressivement éclipsée par la réalité, l’individu se sentant impuissant face à l’énorme transformation que connaît la société. Sommes-nous ceux qui détermineront l’avenir de l’humanité ?
Vous vous êtes peut-être rendu compte que Vision repère les paradoxes moraux de notre époque. Ce faisant, notre magazine oriente vers une autre source d’équilibre et de sagesse religieuse lorsque nous sommes confrontés aux défis qu’imposent les découvertes de l’homme et l’activité commerciale qu’elles suscitent.
La Bible nous offre une perspective en s’attachant à la notion de gérance : la réalité qui veut que nous, êtres humains, soyons destinés à être davantage que des consommateurs et des exploiteurs de la nature. Alors que nos premiers parents habitaient le jardin d’Eden, leur Créateur attendait d’eux qu’ils le cultivent et qu’ils le gardent (Genèse 2 : 15). La formulation d’origine en hébreu impliquait la culture, mais aussi la protection et la préservation. Voilà un exemple de sagesse religieuse à l’égard de l’environnement, telle qu’elle s’exprimait au début du parcours de l’humanité. Vous trouverez d’autres aspects de cette sagesse dans d’autres articles de Vision.