Ville de croyances
C'est la fameuse question de Jérusalem : de quelle manière les problèmes qui divisent la ville de paix vont pouvoir être résolus au vu des positions apparemment opposées et obstinées de deux peuples qui considèrent cette ville non seulement comme leur patrie mais aussi comme leur capitale ?
Jérusalem est le cœur moderne de l'immense arc culturel et géographique du Moyen-Orient. Elle est aussi au centre d'un conflit vieux de plus d'un siècle entre les Arabes et les sionistes, et elle se trouve aujourd'hui apparemment dans une impasse. Les deux partis s'identifient fortement avec l'ancienne cité et ce pour des raisons historiques, sociales et politiques. À l'impasse actuelle concernant l'avenir de la ville, il faut ajouter que Jérusalem est la patrie de trois grandes religions - le judaïsme, le christianisme et l'islam - ce qui fournit toutes les passions contraires que la ferveur religieuse peut déclencher.
À l'aube du 21ème siècle, le conflit israélo-palestinien s'est centré sur un kilomètre carré essentiel - la vieille ville de Jérusalem - qui abrite les symboles et les trophées de ces identités à présent opposées. Il est clair que les Palestiniens musulmans et chrétiens et les Israéliens religieux et laïques s’identifient à plusieurs niveaux à la vieille ville, et ses sites saints continueront d’occuper une place centrale dans toute résolution sur la question de Jérusalem. Réservée pour les négociations finales, la ville, avec ses éléments historiques et religieux essentiels, constitue un vrai élément de rupture d'accord dans n'importe quel accord de paix proposé.
Le Trio et le Quatuor
Comme les pays frontaliers arabes, l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie Saoudite, ont adopté des positions modérées envers Israël – l’Égypte et la Jordanie ont signé des traités de paix (respectivement en 1978 et 1994), et l’Arabie Saoudite a proposé la reconnaissance d’Israël par le monde arabe avec en retour la fin du conflit israélo-palestinien (Sommet arabe de Beyrouth, 2002) – ils ont tendance ces dernières années à travailler de concert avec Israël en tant que « Trio ».
« Le Quatuor », composé des Nations unies, des États-Unis, de l’Union européenne et de la Russie, représente différents intérêts politiques, stratégiques et parfois religieux. Les Nations unies ont des intérêts personnels à voir la paix régner au Moyen-Orient depuis que l’Angleterre a annoncé en mai 1947 qu’elle leur remettait ses pouvoirs conférés par mandat. Les Nations unies ont assumé ce rôle et cherché, sans succès, à résoudre le conflit israélo-palestinien de différentes façons. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont devenus le successeur de l’Angleterre dans le soi-disant « arc de l’empire » qui s’étend du Golfe persique à la mer Méditerranée. L’Union européenne a des intérêts dans les opportunités commerciales lucratives d’un Moyen-Orient en développement et, comme les États-Unis et la Russie, un intérêt stratégique pour ses ressources en pétrole.
Chaque membre du Quatuor représente également ses propres intérêts religieux dans la région. C’est spécialement le cas pour Jérusalem, où il y a, entre autres : des Éthiopiens ; des maronites ; des juifs orthodoxes et réformés ; des catholiques arméniens, grecs et romains ; des orthodoxes arméniens, coptes, syriens et russes ; des anglicans, des baptistes, des luthériens ; des évangéliques ; et des mormons.
Au-delà de la sphère israélo-palestinienne, la question de Jérusalem est sur les lèvres de beaucoup de personnes, comme les Marocains, les Irakiens, les Iraniens et les Turcs, sans parler du « Trio » et du « Quatuor ». L'intérêt que portent les autres nations à Jérusalem est très ancien. Par exemple, les chrétiens du Moyen-Âge avaient placé la ville au centre de leurs vies spirituelles parce que les Églises romaine catholique et orthodoxe sanctifiaient la Jérusalem physique. Ainsi, sans la connaissance géographique ni technologie adaptée, leurs cartes montraient Jérusalem au centre du globe. Une tradition juive plus ancienne l'appelait l'omphalos, ou nombril, du monde ; une autre l'appelait le lieu de naissance du cosmos. Reflétant dans un certain sens ces conceptions, le monde moderne semble être retourné à ces images, et Jérusalem est devenue encore une fois le centre d'attention du monde entier.
C'est ici que nous débutons une visite en deux parties pour examiner le rôle central de Jérusalem dans la pensée juive/israélienne et arabe/palestinienne. La première partie se concentrera sur la perspective juive/israélienne.
Jérusalem - entière et sainte
Depuis 2 500 ans et la captivité de l'ancien Israël en Babylone (605-459 av. J.-C.), le sentiment juif a été agité par le serment de l'exil : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ! » (Psaumes 137 : 5–6). Et chaque année depuis la destruction de Jérusalem et de son temple par Hérode en l'an 70 de notre ère, la communauté juive dans la dispersion ne cesse de se répéter « l'année prochaine à Jérusalem ! » lors de deux fêtes annuelles du judaïsme : la Pâque et le Jour des Expiations. Le chant qui est devenu l'hymne national de l'État d'Israël, « Hatikvah » (l'espoir), composé vers 1878, fut inspiré par les colons fondateurs du sionisme à Petach Tikva, près de Tel Aviv. Cet hymne parle aussi du retour rédempteur à Jérusalem et en terre de Sion :
Aussi longtemps qu'au fond du cœur
l’âme juive vibre,
vers les confins de l'Orient
un œil sur Sion observe.
Nous n'avons pas encore perdu notre espoir
vieux de deux mille ans,
de vivre en peuple libre sur notre terre,
terre de Sion et de Jérusalem.
Ainsi le désir de revenir à Sion/Jérusalem hante l'imagination juive depuis de nombreuses générations. C'était et c'est une communauté qui a continuellement en vue un pays et une ville particuliers.
Pour utiliser des termes précis, le retour à Sion se concentrait en fin de compte sur le secteur qui aujourd'hui se situe dans la vieille ville de Jérusalem et qui est délimité par l'esplanade d'Hérode construite pour soutenir le second temple de Zorobabel. C'est ce temple, ou plutôt le souvenir de ce temple, qui rend Jérusalem sainte dans l'esprit juif. Mais plus récemment, les autorités religieuses juives ont affirmé que chaque partie de Jérusalem, même parmi les frontières élargies de la ville, était sacrée. Selon Zwi Werblowsky, ancien professeur de religion comparée et histoire de la pensée juive à l'Hebrew University, « pour les Juifs, Jérusalem n'est pas une ville qui renferme des endroits saints et qui commémore des évènements saints. La ville, en tant que telle, est sainte. »
« Pour les Juifs, Jérusalem n'est pas une ville qui renferme des endroits saints et qui commémore des évènements saints. La ville, en tant que telle, est sainte. »
Spirituellement parlant, le retour à Sion signifie un nouvel engagement du peuple hébreu envers les valeurs de Dieu, ce qui en fait est synonyme de culte rendu à ce Dieu dans les endroits où il a placé son nom. Par conséquent, Sion est « la ville du grand roi » (Psaumes 48 : 2). Selon le philosophe religieux juif allemand Martin Buber, « lorsque les Juifs ont adopté ce nom pour le concept national, toutes ces connotations en faisaient partie. »
Droits historiques
La légende juive appelle le rocher du mont du Temple la « pierre de fondement », couverte depuis l'an 692 par le lieu saint musulman, le Dôme du Rocher. Il est dit que c'est ici que commença l'univers et qu'Adam fut créé. De plus, l'on croit que le patriarche biblique Abraham a essayé de sacrifier son fils Isaac sur le même lieu (cf. Genèse 22). Le rocher pourrait également être l'aire que le roi de Juda, David, acheta à Aravna, le Jébusien (cf. 2 Samuel 24 : 18-25), créant, selon la vue sioniste, un droit de propriété qui supplante n'importe quel droit arabe. L'on croit également que le rocher se trouve sur le site du premier temple du roi Salomon (le rocher central servant d'autel), ou peut-être l'endroit du sanctuaire du Saint des saints dans ce temple. Il est généralement accepté que le second temple fût érigé sur ce même endroit. Après la destruction du temple par les Romains, tout ce qui est resté est la grande esplanade et le mur de soutènement extérieur.
Interdits de mettre les pieds dans la ville sous le règne de l'empereur Adrien (117-138), les fidèles juifs ne purent pleurer la destruction du deuxième temple qu'à partir du mont des Oliviers, situé à l'extérieur de la ville. Les générations suivantes n'eurent qu'un accès limité, premièrement par l'antipathie des souverains romains catholiques vis-à-vis des « meurtriers du Christ », puis plus tard par le contrôle musulman de la ville.
Cependant, depuis au moins le 12ème siècle, les Juifs viennent devant un morceau du mur de soutènement, ha-Kotel ha-Ma’aravi, connu en Occident comme le mur des Lamentations (mur Occidental), pour prier trois fois par jour. C'est à cet endroit qu'ils implorent Dieu en disant : « Retourne en miséricorde à Jérusalem, ta ville, vas-y résider comme tu l'as promis ; reconstruis-la bientôt, pendant notre vie. Bénis sois-tu, ô Seigneur, fondateur de Jérusalem. »
La ville a également été mentionnée par le peuple juif, et ce quotidiennement depuis des siècles, chaque sabbat, chaque jour de fête, dans des rites et des prières sur les repas et les mariages, les naissances, les passages à l'âge adulte et les décès. L'auteur israélien Amos Elon note qu' « un tel sentiment n'est jamais apparu ou resté aussi longtemps dans tout autre peuple exilé. »
De plus, Sion est une image de l'avenir. Buber parle du livre d'Ésaïe comme étant « le livre templocentrique par excellence dans le recueil de la prophétie israélite. » Les prophéties d'Ésaïe rassemblent la terre et le peuple dans une vision d'avenir où Sion serait le centre du monde racheté et le trône de son roi.
Le mur des controverses
C'est dans les années 1830 que la communauté juive de Palestine commença à faire des efforts pour améliorer la situation du culte au mur des Lamentations. L'occupation égyptienne de la Palestine (1831–40) amena un régime plus tolérant vis-à-vis des juifs et des chrétiens. Ainsi, l'on essaya de construire une nouvelle synagogue et d'acquérir des droits sur la propriété musulmane. Cependant, ces approches furent repoussées à cause des restrictions ottomanes imposées sur les Juifs étrangers voulant acheter de la propriété dans et autour de Jérusalem.
Puis en 1838, le gouvernement britannique ouvrit le premier consulat européen à Jérusalem et l'année suivante, ses représentants commencèrent à aider les Juifs. À une occasion, le consul approcha le vice-roi d'Égypte, Ibrahim Pasha, de la part d'un Juif anglais qui avait fait un don pour financer le pavage de la rue qui se situe en face du mur des Lamentations. Selon l'historien palestinien A.L. Tibawi, c'était une tentative rusée pour « acquérir des droits dans le mur des Lamentations. » Tout le secteur était un waqf musulman, une fondation religieuse créée au 13ème siècle par le fils du célèbre conquérant de Jérusalem, Salah al-Din. Il avait été protégé pendant six siècles sous les auspices des cheikhs d’Afrique du Nord du quartier maghrébin de Jérusalem. Et donc, même si Ibrahim Pasha accepta cette requête, son comité à Jérusalem la refusa avec le soutien inconditionnel du cheik local.
En 1852, différents gouvernements internationaux et corps religieux acceptèrent les célèbres dispositions de statu quo gouvernant les sites sacrés de la Palestine. Ces dispositions permettaient aux différentes croyances religieuses de l’époque un accès limité et une liberté de culte sur les sites. Dans le cas des juifs, ils avaient le droit d’adorer au Mur sans droits spécifiques. Dans les années 1850, les efforts juifs visant à acheter le Mur échouèrent. En même temps, le consul britannique essayait, au nom des chrétiens et des juifs, de permettre la construction de bâtiments religieux à Jérusalem.
Lorsque la Déclaration Balfour du gouvernement britannique, favorisant « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif », fut signée en 1917, les sionistes essayèrent à nouveau d’améliorer l’accès limité des juifs au Mur. En 1918, certaines activités autour du Mur suscitèrent la crainte chez les Arabes de voir les juifs essayer de créer une synagogue en plein air. Puis l’inclusion de la Déclaration Balfour dans le mandat de la Société de Nations, par lequel l’Angleterre gouvernait la Palestine depuis la fin de la Première Guerre mondiale, encouragea les sionistes à faire pression pour obtenir des droits de cultes illimités sur le site sacré. En 1928 et 29, à la suite de conflits concernant l’utilisation du site, dans lesquels 133 Juifs et 116 Arabes furent tués, les autorités britanniques réaffirmèrent la validité des règles de statu quo religieux.
Après la guerre arabo-israélienne de 1948, avec la reddition du quartier juif et la capture de la vieille ville par la Jordanie, les fidèles juifs perdirent l’accès au Mur pendant 19 ans.
La différence que fait un jour
Lorsque Israël s’empara du mur Occidental lors de la guerre de 1967, les Juifs exprimèrent encore plus ouvertement leur identification avec Jérusalem. Tout d’un coup, selon Elon, le Mur devint « un monument dans le domaine de la mémoire et de la foi. »
Ce jour-là, le non religieux est devenu religieux. Au sein de l’État d’Israël, la prise du mont du Temple catalysa le désir de beaucoup de faire du militaire et de la politique quelque chose de profondément religieux. Moshe Dayan, Ministre de la Défense israélien et laïque convaincu, déclara : « Nous sommes revenus à tout ce qui est saint dans notre pays. Nous sommes revenus pour ne plus jamais repartir. » Plus tard, lors d’un discours de funérailles au mont des Oliviers pour les personnes mortes pendant la guerre de 1948, il dit : « Nous sommes revenus à la montagne, au berceau de notre peuple, à l’héritage des patriarches, le pays des juges et la forteresse du royaume de la maison de David. » La puissance de l’identité historique motiva bien d’autres personnes. Pour reprendre les paroles de l’ancien député maire de Jérusalem, Meron Benvenisti : « [Nous avons eu le sentiment] de nous joindre à nos ancêtres. »
« Nous sommes revenus à tout ce qui est saint dans notre pays. Nous sommes revenus pour ne plus jamais repartir. »
Le colonel Mordechai « Motta » Gur était à la tête des premiers soldats qui arrivèrent au mont du Temple et au mur de Lamentations. Il annonça à ses parachutistes : « Il est impossible d’exprimer avec des mots ce que nous ressentons. Cela fait tant d’années que nous attendons ce moment. » Lorsque finalement, il arriva lui-même au mur Occidental plus tard dans la journée, c’est à son passé qu’il pensa. Gur était en effet né dans la vieille ville. Il écrivit plus tard : « Malgré l’énorme rassemblement, j’ai vécu ma propre expérience. Je n’ai pas écouté les prières, j’ai plutôt levé les yeux vers les pierres […]
« Je me souviens de nos visites familiales au mur. Vingt-cinq ans auparavant, l’enfant que j’étais avait parcouru les rues étroites et les marchés. J’ai toujours gardé en moi l’impression que la prière au mur a fait. Mes souvenirs se mêlaient aux images de juifs que j’avais vues plus tard, des juifs portant de longues barbes blanches, des redingotes et des chapeaux noirs. Ils ne faisaient qu’un avec le Mur. »
Le 12 juin, il se réunit à nouveau avec ses hommes sur le mont du Temple et leur parla d’une manière encore plus significative en utilisant la rhétorique de l’identité nationale : « Vous avez rétabli le mont au sein de la nation. Le mur Occidental – souffle de chaque Juif, endroit où chaque cœur juif s’émeut – est de nouveau entre nos mains […]
« Pendant la guerre de libération [de 1948], des efforts considérables ont été faits pour que la nation retrouve son cœur – la vieille ville, le mur Occidental. Ces efforts n’ont servi à rien.
« Le grand privilège de boucler finalement le cercle, de redonner à la nation sa capitale, son centre sacré, vous est revenu. »
Le général Shlomo Goren, aumônier militaire, fut également l’un des premiers Israéliens à atteindre le mont du Temple en 1967. Il devint deux ans plus tard le grand rabbin d’Israël (1969-79). Il sonna de la trompette et pria avec ferveur ce jour-là. Il suggéra également au général de division Uzi Narkiss que ce dernier pouvait entrer dans l’histoire en prenant cent kilos de dynamite pour détruire la Coupole du Rocher. Cette information fut révélée trente ans plus tard dans une interview que Narkiss, au seuil de la mort, accorda à un journaliste de la presse écrite. Goren était possédé par la puissance de l’identité nationale et du moment historique. Il dit à Narkiss : « Vous ne comprenez pas l’immense signification de tout ceci. C’est une occasion dont on peut profiter maintenant, à la minute. Demain, ça sera impossible. » Goren avait la conviction que le temple juif devait être reconstruit. Il était soutenu en ce sens par le ministre des affaires religieuses, Zerach Warhaftig, qui pensait que les Juifs possédaient le mont du Temple depuis qu’il avait été acheté par le roi David à Aravna le Jébusien. Comprenant les effroyables implications, Narkiss dit aussitôt à son collègue qu’une telle chose était hors de question.
Le Mur, véritable icône
La capture de la vieille ville mit en marche des changements radicaux pour répondre à la nouvelle identification latente des Israéliens avec leurs lieux saints. L’auteur israélien A.B. Yehoshua écrivit au sujet de la guerre de 1967 : « La guerre des six jours a été désignée comme ‘la guerre juive’, et ce à juste raison, car l’ancien esprit juif en nous s’est réveillé comme un fantôme. »
De son côté, Moshe Dayan ordonna que les maisons arabes adjacentes au mur Occidental soient immédiatement vidées, ce qui fut exécuté en 24 heures. Ce faisant, le gouvernement israélien et la ville de Jérusalem, avec son maire Teddy Kollek, détruisirent plus de 135 maisons dans le quartier maghrébin et exproprièrent environ 1000 Palestiniens. Au même moment, ils chassèrent du quartier juif de la vieille ville les résidents palestiniens. Ces derniers y avaient trouvé refuge en 1948 après avoir perdu leurs maisons dans Jérusalem ouest. On estime à 500 ou 600 le nombre de familles palestiniennes ayant perdu en 1967 leurs maisons dans la vieille ville. Dayan annonça également qu’il voulait aller encore plus loin et creuser une route dans les collines, une route assez large pour permettre à « tous les Juifs du monde de venir au mur Occidental. » Tout d’un coup, le Mur n’avait jamais eu une aussi grande signification aux yeux de Dayan.
Le 19 juin 1967, le Ministre des affaires étrangères israélien, Abba Eban, s’adressa à l’assemblée générale des Nations Unies. Il parla en détails des origines de la guerre et de son issue. Concernant Jérusalem, il déclara : « Dans la longue histoire de notre nation, peu de moments ont été plus forts que lorsque nous avons retrouvé le mur Occidental. Un peuple venait de revenir à son berceau. Il a renouvelé son lien avec le mystère de son origine et de sa continuité. Les souvenirs que ces retrouvailles évoquent sont nombreux et profonds. »
Depuis, le Mur est devenu un icône national pour la plupart des Israéliens, l’endroit où sont fêtés les cérémonies civiles et nationales, les concerts et où les unités d’élite de l’armée prêtent serment. Pour un grand nombre d’Israéliens, vénérer le Mur, le mont du Temple et la Jérusalem historique ne revient pas à pratiquer la religion juive, mais c’est plutôt un aspect essentiel de l’identité nationale enraciné dans l’histoire et la tradition religieuse du peuple juif.
Le compromis est-il possible ?
Y a-t-il un espoir de compromis concernant Jérusalem du côté des Israéliens ? Des études récentes laissent entrevoir un certain optimisme. Le résultat de deux études récentes indique qu’il est possible que la tension baisse. Jerome Segal et ses chercheurs ont trouvé que, même si les questions concernant l’aspect négociable de Jérusalem dans son ensemble ont soulevé le refus des Israéliens de faire tout compromis sur la souveraineté de la ville, les questions pour savoir quels étaient les secteurs de la ville les plus importants ont donné une autre image. 45 % des Juifs israéliens « pourraient considérer sérieusement la souveraineté palestinienne sur les colonies et villages arabes qui étaient auparavant en Cisjordanie et qui sont à présent dans les frontières de Jérusalem. » Ainsi, un compromis sur la souveraineté des secteurs situés en périphérie de la ville semble possible.
En ce qui concerne la vieille ville et les lieux saints, les opinions faisaient preuve de beaucoup moins de souplesse. Les secteurs les plus importants pour les Israéliens « en tant que partie de Jérusalem » étaient le mont du Temple et le mont des Oliviers, et la vieille ville elle-même, à moins qu’elle soit divisée en secteurs juif et palestinien. Le mur Occidental était « très important » ou « important » pour 99 % des Israéliens.
Un Israélien n’a pas besoin d’être religieux pour ressentir un lien très fort avec la ville et son architecture ancienne, et les symboles religieux. Le sionisme politique s’est approprié différents éléments de la religion juive, y compris bien évidemment le nom « Sion » (qui représente à la fois le pays et la ville) pour en faire ses principaux symboles. Selon l’érudit israélien Baruch Kimmerling, « en dépit de l’image d’Israël en tant qu’État laïque, la plupart des habitants ne sont pas non religieux, même s’ils ne se définissent pas comme étant ‘religieux’ » (c’est nous qui mettons l’accent).
Les aspects de l’identité commune au judaïsme et à l’histoire nationale juive continuent de fournir une réelle unité face à l’opposition arabe. D’où le crescendo d’émotions parmi les Israéliens et les Juifs, du croyant à l’athée, à la suite de la capture israélienne du mur Occidental en 1967 – des émotions et un engagement profonds qui persistent jusqu’à aujourd’hui.
Il faudra voir à l’avenir s’il est possible de trouver un compromis constructif au sujet du mont du Temple, pour céder la souveraineté au Palestiniens. Cet endroit, également connu sous le nom de Haram, est à leurs yeux tout aussi important pour la religion et l’identité nationale.